TECHNOPHILE

La nouvelle ville sera cyclable

Fortement encouragée, la pratique du vélo fait de plus en plus d’adeptes. Supprimer les places de parc, transformer les routes en pistes cyclables, limiter la vitesse du trafic, jusqu’où faut-il transformer la ville pour laisser la place aux vélos?

Début février 2023, le parlement européen a réclamé l’élaboration d’une stratégie dédiée au vélo afin de «doubler le nombre de kilomètres parcourus en Europe d’ici 2030». En Suisse, la loi fédérale sur les voies cyclables – acceptée à 73,6% en votation en 2018 est entrée en vigueur au début de l’année. Issue d’une initiative portée par Pro Vélo et l’ATE, elle stipule que les pouvoirs publics fédéraux et cantonaux construisent un réseau de pistes cyclables sur leurs routes d’ici 2043.

«Il faut faire plus et plus vite, résume Patrick Rérat, professeur de l’Université de Lausanne et codirecteur de l’observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives. «Le retour du vélo en ville nécessite de nouvelles infrastructures et de nouvelles législations. Cela passe au minimum par la réduction de la vitesse des voitures et la mise en place des itinéraires cyclables séparés physiquement des voies empruntées par les voitures.»

En matière d’aménagements, le «CROW Design Manual for Bicycle Traffic» fait office de référence. Publié en 1970 – puis réédité en 2016 – le manuel écrit par des ingénieurs danois a édicté les cinq grands principes des infrastructures cyclables. Premièrement la cohésion, c’est-à-dire que les itinéraires doivent construire un réseau interconnecté et suffisamment dense pour desservir toute la ville. S’ajoutent ensuite la sécurité, le confort et aussi la beauté du parcours. Enfin pour provoquer un changement d’habitude, il faut également que le chemin soit le plus direct possible.

Pour le professeur, la sécurité reste le critère le plus important. «Toutes les études montrent qu’il subsiste en Suisse romande de véritables problèmes de sécurité empêchant certaines personnes de prendre leur vélo, notamment lorsque les routes sont partagées avec les voitures.» La question du confort est aussi essentielle. Elle implique la problématique des arrêts répétés sur le parcours. «L’énergie nécessaire au cycliste pour s’arrêter et redémarrer équivaut à ajouter 80 mètres à son trajet.» L’exemple de la voie verte du Grand Genève, inaugurée en 2018 et en cours d’extension, est emblématique. «C’est une infrastructure de qualité qui est victime de son succès. Suffisamment sécurisée – car séparée des voitures – et assez agréable, elle a créé de nouveaux cyclistes. On constate d’ailleurs aujourd’hui qu’elle est sous-dimensionnée aux heures de pointe.»

Rattraper Copenhague

«Pendant longtemps, on a essayé d’accomplir l’utopie d’une ville conçue pour la voiture. Il faut constater que c’est un échec: conduire en ville reste difficile malgré les infrastructures déployées depuis plus d’un demi-siècle», explique Selim Egloff de l’Association Transports et Environnement (ATE), organisation d’utilité publique qui promeut la mobilité douce. En Suisse, 6,8% des trajets quotidiens étaient effectués en vélo, selon le dernier recensement datant de 2015. «Cela place le pays dans la moyenne des pays occidentaux, mais bien loin des 28% néerlandais.»

Le vélo était pourtant le mode de transport courant au début du siècle passé. «Dans les années 1920, la majorité du trafic dans les centres-villes suisses était cycliste», rappelle le professeur Patrick Rérat. Ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale, que la voiture s’impose puis se démocratise dans les années 1970. À cette époque, le modèle de la rue d’adapte, avec deux trottoirs et deux voies pour les voitures. «Le vélo est le seul moyen de transport qui ne bénéficie d’aucune place dédiée sur la rue», complète Olivier Gurtner, président de ProVélo Genève.

En 2022, l’Observatoire de la mobilité lausannoise a constaté une hausse de 86% du trafic cycliste entre 2017 et 2021. «On partait de loin, confie Florence Germond, membre de l’exécutif lausannois et chargée de la mobilité depuis 2016. Notre Plan Climat vise à atteindre une part de 15% de vélos pour les trajets quotidiens d’ici 2030, contre 2% en 2015.» Au cours des cinq dernières années, 32,8 km d’aménagements cyclables ont été réalisés pour un total d’environ 120 km. À Genève, entre 2015 et 2018, le canton a créé 28 km de pistes cyclables, ce qui l’amène à 258 km de de pistes et 221 km de bandes cyclables.

En 2017, l’urbaniste australien Steven Fleming proposait, avec son livre «Velotopia», un modèle de ville entièrement conçue et aménagée pour les cyclistes. «C’est une belle expérience de pensée, commente Patrick Rérat. Mais elle nécessite de faire table rase, de repartir de zéro, ce qui n’est évidemment pas possible ; il faut partir de la rue telle qu’elle existe aujourd’hui.»

Ville cyclable de référence avec ses 50% de trajets quotidiens effectués à vélo, Copenhague a entamé son virage vers le vélo dès les années 1970. Pour Laurence Germond, «le vélo a un fort potentiel de mobilité, d’urbanisme et de santé publique. D’ici 2050, nous devons essayer de rattraper Copenhague.»

La réduction de la vitesse des voitures de 50 à 30 km/h est une autre mesure phare en faveur d’une réduction du trafic routier. Actuellement, près de la moitié de la ville Lausanne est en zone modérée. À Genève, alors que le canton ambitionne de généraliser les zones 30 km/h, le TCS a déposé un recours pour conserver le 50km/h sur certains grands axes. Pour son porte-parole Laurent Pignot, «nous défendons un concept de vitesse différenciée pour éviter un report de trafic dans les quartiers et les agglomérations, où les piétons peuvent profiter de rues plus sûres et moins bruyantes».

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans la Tribune de Genève.