CULTURE

J’ai (brièvement) parlé de sexe avec Michael Stipe

On savait que le chanteur de REM n’aimait pas seulement les filles. On avait envie d’en parler avec lui. A l’occasion d’une interview téléphonique, Michael Stipe nous a dit quelques mots de son profil sexuel: «fluide».

Sex and sex and sex and sex. C’est bien connu, le rock n’a jamais parlé que de ça. Objectif affiché: brouiller les genres, manipuler les codes et remixer ce qui distingue les filles des garçons. Des hanches lascives de Presley jusqu’aux nichons factices de Marilyn Manson (en passant par le transformisme agressif de Bowie, les poses de pute de Jagger et la cravate noire de Patti Smith), toutes les ambiguïtés ont été testées en direct, in vivo, sur la bête.

Mais curieusement, ce mélange des genres n’a jamais vraiment passé le cap du langage. A ma connaissance, aucune star du rock en exercice, au sommet de sa notoriété, n’a vraiment osé admettre qu’elle aimait coucher avec les individus de son propre sexe.

Certains, comme Little Richard ou ce chanteur de Judas Priest dont j’ai oublié le nom, sont sortis du placard alors qu’ils n’intéressaient plus personne. D’autres, comme Bowie ou ce chanteur de Suede dont j’ai aussi oublié le nom, ont revendiqué une sorte de bisexualité plus provocatrice que véritablement crédible. Les rares musiciens affichés gay appartiennent soit à des formations mineures (Faith No More, Sugar), soit à un genre nettement moins rock’n’roll (on ne parlera pas ici de George Michael).

Quant à Michael Stipe, il constitue une catégorie à lui seul. A la fois très mâle et très langoureux, il a su rendre sa laideur attirante aux yeux des filles comme à ceux des garçons. Et quand il dit être attiré par elles autant que par eux, personne ne le soupçonne de provocation gratuite.

J’avais envie de parler de cela avec lui. Pas facile. Boulonné au sommet du «rock’n’roll hall of fame», il n’a pas besoin de se répandre dans la presse pour écouler ses stocks. J’ai insisté, plusieurs fois. Finalement, j’ai obtenu une interview téléphonique, quelques semaines avant la mini-tournée européenne de REM, qui passe lundi par Paris et mardi par Montreux.

A l’heure fixée par l’attaché de presse, j’ai appelé et j’ai entendu sa voix. Une voix douce, sans prétention. Je lui ai posé quelques questions d’usage, musique, succès, etc. Et puis, un peu inquiet, j’ai orienté la conversation vers le sexe. L’échange n’a pas duré longtemps, mais il m’a permis de vérifier ce que je soupçonnais: que c’est l’ambiguïté, et elle seule, qui fait vivre le rock’n’roll.

Au début de la décennie, vous avez affirmé haut et fort votre bisexualité…

Je n’ai pas dit cela. C’est la presse qui l’a écrit. Attention: je ne démens pas. Simplement, je n’aime pas le terme de bisexualité. Si je parle volontiers de politique ou de sexe, c’est que je suis souvent lassé des questions banales sur ma vie de chanteur, sur mes petits intérêts personnels.

Que pensez-vous des théories «queer»? Etes-vous d’avis que l’identité sexuelle se construit, qu’elle n’est pas donnée d’avance?

Ce n’est rien de neuf. Michel Foucault le proclamait voilà près de trente ans. Je pense que c’est une très bonne définition de la sexualité. Dans mon existence, mon profil sexuel a toujours été très fluide. Il est totalement ridicule de penser que l’on puisse être strictement gay ou hétérosexuel, comme d’ailleurs exclusivement masculin ou féminin.

Pensez-vous que ce mouvement «queer» va influer sur notre comportement sexuel dans les années à venir?

Cela ne changera pas radicalement l’attitude des gens, ni leur orientation sexuelle. Par contre, ces théories contribueront sans doute à augmenter le degré de tolérance des êtres humains, à briser ce système de classification que les gens ont construit malgré eux. C’est d’ailleurs pour cela que je n’aime pas le terme de bisexuel, qui implique l’existence d’une catégorie intermédiaire.

Et là, on a parlé d’autre chose. C’était peu, mais déjà pas mal.

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Guillaume Régnier, 37 ans, est journaliste. Il a vu le film «Velvet Goldmine», qui ne parle que d’ambiguïté sexuelle et de rock’n’roll. Ce film a été produit par Michael Stipe.