Alors que le dictateur nord-coréen savoure sa victoire, on est en droit de s’interroger sur les raisons de la mansuétude américaine. Les voici.
L’étrange et énigmatique Kim Jong-il, dictateur — paranoïaque, à ce que l’on dit — de la Corée du Nord (23 millions d’habitants) doit ce matin savourer son succès.
Placé en bonne position dans l’Axe du mal de George W. Bush, menacé d’être recouvert à la manière de Saddam d’un tapis de bombe, il a mené au cours de l’hiver une escalade dangereuse. Or le voici assis depuis hier à une table de négociations tripartites réunissant à Pékin émissaires étasuniens, chinois et nord-coréens.
L’artiste n’est pas sympathique du tout, mais il mérite tout de même un coup de chapeau, car il a indubitablement remporté cette première manche en forçant Washington au dialogue et, surtout, en obtenant que le Japon et la Corée du Sud ne participent pas à cette première phase de discussions.
De même, Pyongyang a obtenu un engagement actif de Pékin, son allié le plus proche, dans cette affaire, avec comme avantage de mettre face à face les deux grandes puissances du XXIe siècle, la Chine et les Etats-Unis.
Hier, c’est le secrétaire d’Etat adjoint pour l’Extrême-Orient et le Pacifique, James Kelly qui a participé à la première séance. Or c’est lui qui en octobre dernier avait précipité la crise lorsqu’il avait accusé la Corée du Nord de poursuivre un programme nucléaire militaire secret, en violation d’un accord de 1994 qui en prévoyait le gel. La Corée du Nord avait alors admis qu’elle possède un programme destiné à enrichir de l’uranium pour fabriquer des armes nucléaires.
Un mois plus tard, les Etats-Unis et leurs alliés avaient décidé de suspendre les livraisons de pétrole à la Corée du Nord, inscrites dans l’accord. Le gouvernement de Pyongyang avait ensuite annoncé qu’en raison de pénuries d’électricité il avait décidé de réactiver ses centrales électriques nucléaires et chassé les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). De plus, la semaine dernière, est entré en vigueur son retrait du traité de non-prolifération des armes nucléaires.
Les raisons de cette mansuétude américaine?
Elles tiennent à divers facteurs.
1. Il y a bien sûr le face à face Chine-Etats-Unis. Depuis sa conversion à l’économie de marché (sans démocratie ni libéralisme), la Chine acquiert à pas rapide une puissance qui, si elle se poursuit à ce rythme, en fera dans les prochaines décennies LA puissance mondiale.
2. Il y a la puissance militaire nord-coréenne. Cet Etat est plus un Etat militarisé que policier. Son armée est colossale et, derrière elle, l’armée chinoise l’est aussi. Il n’est donc pas question de traiter une Corée du Nord même minée par la pauvreté, la famine et le sous-développement comme l’Afghanistan ou l’Irak.
3. Il y a surtout l’affaiblissement de la position américaine en Corée du Sud. Aux dires d’un ancien ambassadeur US à Séoul, jamais l’antiaméricanisme n’a été aussi virulent dans ce pays qui abrite pourtant 35’000 soldats américains censés défendre la ligne d’armistice tracée en 1953. L’élection en décembre dernier de Roh Moo Hyun à la présidence a retenti comme un solennel avertissement pour Washington.
4. Il y a encore l’impossible unification des deux Etats séparés autrefois au nom des idéologies. Or, la géographie (les banlieues de Séoul, la mégalopole du Sud, frisent désormais la frontière du Nord) et les relations interfamiliales rappellent tous les jours cette blessure béante. Depuis l’unification allemande et ses traumatismes économiques, la prudence est de mise, mais une réunification sauvage est toujours possible suivant les événements internationaux. Elle plongerait à coup sûr la Corée du Sud dans une crise terrifiante.
Même l’administration Bush, pourtant peu portée aux nuances, a compris que la force ne l’amènerait pas très loin. Les négociations sont donc ouvertes. Leur conclusion? Dans quelques années.