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Un seul point chaud, l’hiver

En pleine canicule, le sujet de préoccupation majeur du Conseil fédéral reste la pénurie probable de gaz et d’électricité quand la bise sera revenue. La faute à un peu tout le monde.

Gouverner, c’est évidemment prévoir. Pas étonnant donc si entre deux vagues de canicule, la préoccupation majeure et estivale du gouvernement fédéral reste…l’hiver qui vient. Qui s’annonce non pas rude, mais sobre, bigrement sobre.

Par la magie de l’interconnectivité, particulièrement forte dans le domaine de l’énergie, la Suisse, comme la plupart des pays européens, n’est plus trop certaine de disposer d’assez de gaz et d’électricité quand la bise sera revenue.

Les folies barbares du gouvernement russe, les hoquets des centrales nucléaires françaises, la canicule qui péjore le remplissage des barrages: cette pénurie qui pointe son nez, c’est un peu à la faute à tout le monde et à personne, comme dans toute catastrophe annoncée qui se respecte.

D’où, depuis quelques mois déjà, des appels pressants à la sobriété énergétique. Comme si par miracle le Conseil fédéral s’était mué en une sourcilleuse ONG prônant la décroissance, à coups de sermons moralisateurs. Le citoyen se voit ainsi –comme récemment par l’administration fédérale–, appuyée dans sa démarche par les branches de l’énergie, sommé de multiplier «les bons gestes». Par quoi il faut entendre moins de chauffage, moins d’eau chaude, moins de lumière.

Et ce, au nom évidemment d’une responsabilité individuelle toujours facile à brandir, et à laquelle chacun est renvoyé sans trop de ménagement. «Le risque de pénurie est réel mais nous pouvons nous préparer. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice en limitant sa consommation», prévient ainsi Michael Frank, directeur de l’Association des entreprises électriques.

Utiliser moins d’eau chaude, moins de lumière et moins de chauffage, le message délivré par plus de 35 degrés n’effraye encore évidemment personne. C’est sans doute pourquoi un autre aspect de cette crise à venir, sous forme de conséquence plus douloureuse et plus parlante, est mis en avant par Benoît Revaz, directeur de l’Office fédéral de l’énergie: «Il existe au niveau européen un taux d’incertitude sans précédent et cela se répercute sur les prix.»

Urs Meister, directeur de la Commission fédérale de l’électricité (ElCom) ose même un chiffre à peu près précis, propre à réveiller les foules avachies en  plein bronzage: «Selon nos estimations, le courant électrique devrait revenir environ 20% plus cher en 2023.»

Le Conseil fédéral, longtemps inactif sur ce dossier, prévient que si son appel à consommer moins n’est pas entendu, il prendra des mesures contraignantes progressives.

En commençant par l’interdiction ou la limitation d’infrastructures comme les publicités lumineuses, les escalators, ou les saunas, et pouvant aller ensuite jusqu’à des coupures d’électricité de quelques heures, en passant par un contingentement des livraisons aux entreprises, ou une obligation de passer du gaz au mazout, etc..

Bref, un vrai coup de tonnerre dans un ciel d’azur. Surtout qu’il est fort probable que les appels à la sobriété n’apportent pas les résultats attendus. Vivre plus sobrement, plus frugalement, plus modérément, moins confortablement, cela se décrète en effet rarement. Cela se subit, contraints et forcés, toujours. A moins de refaire l’homme, animal, comme on sait, plutôt gourmand et facilement imprévoyant mais heureusement assez résilient quand on lui coupe d’autorité les vivres.

Si, comme cela semble donc probable, dès l’hiver prochain on se retrouve dans une ambiance de restrictions inconnue depuis la deuxième guerre mondiale, chacun en sera un peu responsable. Mais aussi et d’abord, ce Conseil fédéral qui joue aujourd’hui les pères fouettards, n’est-ce pas lui qui a piloté une sortie du nucléaire pouvant apparaître maintenant comme à peu près suicidaire? Lui aussi qui, par sa mauvaise gestion du dossier européen, et notamment une absence d’accord sur l’électricité, a mis en péril l’approvisionnement du pays?

Tous coupables donc, tous cigales, mais chacun disposant du droit ultime de savourer un peu de canicule avant le grand frisson.