Le régime irakien choisit l’arme populaire du pauvre: la guérilla. Et l’on se demande si les Etats-Unis peuvent vraiment gagner ce conflit.
La seconde guerre d’Irak ne ressemble en rien à ce que les stratèges américains avaient prévu.
Le déploiement des troupes anglo-américaines se heurte sur le terrain à une résistance qui avait largement été sous-estimée par le Pentagone et par les innombrables experts militaires qui pavanent en exhibant leur ignorance dans les grands médias.
A l’origine de cette pagaille, le péché mignon de tous les arrogants trop sûrs d’eux: le mépris de l’ennemi, en l’occurrence Saddam Hussein. Et en prime, une désinformation massive par laquelle, à force de la lire chaque matin dans son journal préféré, ils finissent par être eux-mêmes intoxiqués. Rumsfeld et nombre de commentateurs proaméricains parlent encore de recherche d’armes de destruction massive.
La grande nouveauté de cette première semaine de guerre tient à la stratégie adoptée par le régime irakien. Il y a 12 ans, dans ses oripeaux d’agresseur, il était encore aligné sur une théorie militaire de type classique, privilégiant le choc frontal avec ce qu’il fallait d’aviation et de blindé. Et il avait été écrabouillé par la suprématie des armements américains.
Aujourd’hui, en posture d’agressé, il se souvient des grandes leçons révolutionnaires du XXe siècle et choisit l’arme populaire du pauvre, la guérilla.
C’est de loin l’arme la plus dangereuse: les Américains au Vietnam et les Français en Algérie en ont fait la dure expérience. Ils avaient virtuellement gagné la guerre en termes classiques, par le contrôle général des pays en question, virtuellement seulement car ils l’ont perdue réellement sur le terrain faute de pouvoir «sécuriser», comme disent les généraux, leurs conquêtes.
Si je fais allusion à l’Algérie, ce n’est pas par hasard. L’Algérie est le seul pays arabe qui ait jamais vaincu militairement et politiquement une puissance coloniale. Et je pense qu’à l’heure actuelle, nombre de combattants irakiens repliés dans ces villes du sud Bassorah, Nassiriyah, Roumeïla, etc., et bien sûr à Bagdad, doivent avoir à l’esprit les hauts faits de leurs frères algériens combattant dans la Casbah d’Alger à la fin des années cinquante.
Et je ne m’explique pas encore pourquoi les Palestiniens, à la place de se lancer dans un terrorisme de masse désespéré, immoral et politiquement contreproduisant, n’ont pas mieux étudié les leçons de la guerre d’Algérie. Il faut probablement y voir la marque d’un manque de culture et d’une foi stupide dans le fanatisme religieux.
A l’exception de la guerre civile libanaise dominée par des luttes de clans à l’intérieur de la capitale, jamais le conflit isaraélo-arabe n’a généré de guérilla. En 1948, les Arabes qui, pourtant, avaient eu tout le temps de voir venir le coup de force israélien, furent incapables de réagir à l’expulsion massive des Palestiniens de leurs villes et villages.
Par la suite, dans les guerres de 1967 et 1973, Egyptiens et Syriens tentèrent de forcer le sort en opposant à Tsahal des forces classiques qui furent rapidement et rudement déconfites.
Ces échecs masquaient en fin de compte une manque de confiance dans leurs peuples de la part de régimes nationalistes en voie de sclérosification. Aujourd’hui, Moubarak et el-Assad Jr sont des dictateurs aussi isolés que l’était Saddam, il y a une semaine encore. Et je ne suis pas certain que la résistance irakienne qui se développe ces jours-ci leur fasse plaisir tant elle est annonciatrice de leur chute à venir.
Un des plus farouches opposants américains à cette guerre, Scott Ritter, ancien inspecteur en désarmement de l’Onu et ancien officier des renseignements au sein du corps des Marines, déclarait mardi 25 mars: «Les Etats-Unis n’ont pas les moyens militaires de prendre d’assaut Bagdad et ne peuvent que perdre la guerre contre l’Irak. Les Etats-Unis vont quitter l’Irak la queue entre les jambes, sur une défaite. C’est une guerre que nous ne pouvons pas gagner. Nous n’avons pas les moyens militaires de prendre Bagdad et pour cette raison je crois que la défaite des Etats-Unis dans cette guerre est inévitable. A chaque fois que nous affrontons les troupes irakiennes, nous pouvons gagner quelques batailles tactiques, comme nous l’avons fait pendant dix ans au Vietnam, mais nous ne serons pas capables de gagner cette guerre, qui est à mon avis perdue.»
Ritter est fort pessimiste pour ses compatriotes, même s’il part d’une analyse correcte, car les jeux sont malgré tout loin d’être faits. Et surtout, il ne prend pas en compte l’entêtement du président et de son clan: l’Irak peut s’effondrer d’une minute à l’autre pour peu que Bush utilise, lui, les armes de destruction massive dont il est abondamment pourvu. Au nom de la civilisation et de la juste cause qu’il est persuadé de défendre.