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Inflation, poil au menton

La Confédération compte sur le secteur privé pour lutter contre la vie chère; et oublie curieusement de mettre à contribution les caisses-maladies.

C’est donc le grand épouvantail du moment. L’inflation est partout. La Suisse n’y échappe évidemment pas. Savoir que ce mal de jadis est revenu dans les têtes, et surtout les portemonnaies, par la faute des absurdes visées expansionnistes de la Russie poutinienne, n’aide évidemment pas à trouver un commencement de remède.

Pour l’heure le ministre de l’économie Parmelin tente de calmer le jeu, à l’aide d’un curieux raisonnement: ce ne pas encore trop grave puisque bientôt ce sera pire. Ainsi, à propos du soutien que pourrait apporter la Confédération aux secteurs les plus impactés par une hausse constante du prix de l’énergie, notamment à chaque nouveau train de sanctions contre la Russie, le Conseiller fédéral vaudois assène: «Nous n’en sommes pas là. De telles mesures doivent être ciblées.»

Parmelin se défausse donc sur le secteur privé et les particuliers: «Ce que nous pouvons faire, c’est utiliser l’énergie avec parcimonie. Dans ce domaine, la Suisse est déjà en bonne voie. Notre industrie est déjà très efficace.» Bref, aide-toi et le ciel t’aidera, principe dans le fond sur lequel repose largement le système suisse –ce n’est pas pour rien que la Constitution continue à se placer d’emblée sous le patronage de «Dieu tout puissant».

Pas étonnant donc que le même ministre, à propos du moyen le plus évident de combattre l’inflation –à savoir la hausse des salaires–, décrète la Confédération peu concernée et refile le mistigri «aux partenaires sociaux», donc les syndicats et les entreprises, affirmant bien que l’État ne devrait surtout pas devancer ces discussions entre employeurs et employés. Ce qui revient à peu près à ne rien faire, au glorieux prétexte que d’autres se chargeront sûrement du boulot.

Seule petite concession de la Berne pingre et fédérale: «La Confédération peut, le cas échéant, procéder à des corrections, par exemple en ce qui concerne les prestations complémentaires ou d’autres aides pour les ménages à revenus modestes.» Il semblerait donc que face à l’inflation, l’État dise «non» à des mesures réelles et significatives, mais «oui» à la charité ponctuelle, cette charité qui a longtemps tenue lieu de seule politique sociale et qui fleure bon l’ancien régime.

Il est par ailleurs assez caractéristique que parmi les mesures que pourrait envisager la Confédération contre la vie chère, Parmelin n’ait pas mentionné les pressions possibles sur les caisses-maladies. En les obligeant, par exemple à utiliser leurs importantes réserves, encore augmentée par de récents gains boursiers, histoire d’atténuer les hausses prévues de primes pour 2023, estimée entre 5 et 10%. Nombre de caisses parmi les plus importantes ont des réserves situées entre 200 et 260% alors que la limite de solvabilité fixée par la loi est de 150%.

Quand on sait que les dépenses de santé sont parmi les plus importantes d’un ménage, avec le logement et l’énergie, quand elles ne les dépassent pas, il y aurait là un sérieux levier anti-inflation. Mais l’État, on le sait, a toujours répugné à enquiquiner les grandes compagnies d’assurance. Soit en raison d’un lobbying intensif des dites compagnies, soit par mélange des genres, nombre de parlementaires n’étant pas sans liens avec les assurances. Ou alors par dogmatisme, au nom d’un libéralisme mal compris ou dévoyé.

Face à l’inertie de la Confédération, certains cantons romands (Vaud, Genève, Fribourg, Neuchâtel et le Jura), où les primes sont plus élevées qu’en Suisse alémanique, ont décidé d’agir sous la forme d’initiatives prônant une modification de la loi, qui décréterait excessives les réserves dépassant 150%. Initiatives soutenues par la gauche, et le centre-droit. La sénatrice PLR fribourgeoise Johanna Gapany résume clairement le sens de la manœuvre: «L’excès de prudence des caisses est dangereux, car il biaise le débat sur la maîtrise des coûts de la santé. Il faut restituer les réserves excessives à ceux qui les ont financées, soit les assurés.»

Le Conseil fédéral n’y avait pas pensé: la mesure était sans doute trop juste, trop simple et surtout trop efficace.