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«8 Mile», le rap est un sport de combat

Entre chronique sociale et success story, «8 Mile» exprime la puissance poétique du rap tout en adoucissant l’image d’Eminem. Un film qui plaît.

Plus qu’à un film musical, «8 Mile» s’apparente à un conte de fées urbain dans la tradition de «Rocky» ou de «La Fièvre du samedi soir». Il met en scène un jeune homme qui tente d’échapper au destin tout tracé qui était le sien — chômage, alcool, violence — par la maîtrise de sa passion.

Au lieu de la boxe ou de la danse, ce sera le rap, l’improvisation verbale, les joutes oratoires. Pour une rime mortelle, ce Cyrano de Detroit est capable de tout. Le langage est son arc, le mot sa corde et l’insulte sa flèche. Littéraire, «8 Mile»? N’exagérons rien, même si sa haute teneur en poésie est l’un des plaisirs prodigués par cette chronique sociale matinée de biographie déguisée.

Déguisée, car si le film de Curtis Hanson est bien inspiré de la vie d’Eminem, de sa jeunesse passée à Detroit, à 8 Mile précisément qui trace la frontière entre les quartiers blancs et noirs, il fait volontairement l’impasse sur la violence de son héros. En d’autres termes, «8 Mile» retrace la vie de Marshall Mathers avant que celui-ci se fasse appeler Eminem, en référence à ses initiales, M&M.

Difficile en effet d’imaginer que ce beau jeune homme encapuchonné comme un moine ascétique soit le même que celui qui défraye régulièrement la chronique, le même qui insulte violemment sa mère dans ses chansons, le même encore que George Bush considère comme la chose la plus dangereuse pour la jeunesse américaine depuis la polio! Eminem, c’est évident, se refait une virginité médiatique à travers «8 Mile».

Dans le film, il protège sa petite sœur (sa fille dans la vie), n’insulte jamais sa mère, qui, dans la réalité, a obtenu de son rejeton des dommages et intérêts pour diffamation, vient au secours d’un collègue gay (histoire d’effacer ses déclarations homophobes), a pour amis une bande multiraciale assez déglinguée (un débile, un intello, un obèse) et vit une relation relativement égalitaire avec sa copine de cinéma, petite débrouillarde qui a autant le sens de l’honneur que du pragmatisme. Eminem, via son personnage de Jimmy Rabbit, est filmé comme un ange à qui on donnerait le Bon Dieu sans confessions.

Cette volonté cosmétique marque la limite de «8 Mile», un film qui s’adresse à un public large et pas forcément connaisseur. Pourtant, l’approche assez pédagogique du phénomène rap ainsi que l’esthétique de la rage qu’elle développe (magnifique photographie) possède un double avantage: échapper à la logique du produit dérivé et surtout révéler le talent d’acteur du rapeur blanc, dont le regard ambitieux et mélancolique tient le film de bout en bout. Même dans les situations les plus humiliantes, il reste charismatique. A commencer par celle du début.

«8 Mile» raconte en effet l’histoire d’un jeune homme blanc qui, encouragé par ses amis noirs à se produire sur scène, rate son test d’entrée. Pendant les 100 minutes qui suivent, il s’appliquera donc à réparer son échec originel, cause de toute sa honte: être resté muet face à son adversaire, n’avoir pas été à la hauteur d’un duel poético-ordurier.

Ce duel final, c’est évidemment l’apothéose du film, le moment tant attendu et la révélation de ce qu’est vraiment le rap, ce qui fonde l’essence de cette culture urbaine: les battles, joutes oratoires de 45 secondes ou 1 minute 30 qui autorisent tous les coups: l’humiliation, la menace, les insultes, sur le sexe, la race, les mères, la famille etc.

Pour gagner la battle, le rappeur doit improviser sur tout ce qu’il voit et sait de son adversaire, mais aussi savoir encaisser les rimes qui tuent. L’exercice est plus proche d’un combat de boxe, autant dans la gestuelle que dans la solitude du ring, que des jeux pratiqués par les ligues d’improvisation.

Dans le match final, Jimmy Rabbit apparaît comme un grand maître de battle parce qu’il anticipe les insultes de son adversaire, le prive de son discours agressif, en assumant et revendiquant toutes ses déficiences, transformant ses handicaps en atouts. Jimmy gagne la partie par K.O. sous les applaudissements et acclamations du public, celui du club mais aussi celui de la salle de cinéma qui vibre en simultanéité de ce match passionnant.

Si «8 Mile» plaît autant, c’est qu’il épouse une morale qui, de tout temps, apaise le plus grand nombre: la loi du plus fort n’est pas toujours la meilleure. Dans ce combat entre la ruse et la force, entre David et Goliath, c’est le verbe qui l’emporte.