LATITUDES

Comment j’ai créé ma maison de couture à Paris 

Le Valaisan Kévin Germanier, 30 ans depuis le 16 février, est à la tête de la maison Germanier à Paris. Le créateur à l’ascension fulgurante habille Lady Gaga, Beyoncé, Rihanna et a intégré en 2020 le prestigieux classement Forbes des «30 Under 30».

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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 «Je n’ai jamais voulu monter ma propre entreprise, ni avoir ma marque. Je me rêvais directeur artistique d’une maison de haute couture. Pourtant, depuis 2018, je suis CEO de Germanier à Paris! Ma marque va très bien, je suis inscrit dans le calendrier officiel de la Fashion Week et le 7 mars, j’y ai présenté mon défilé. Je suis fier de mon parcours, même si je n’aime pas parler de “succès”. Je ne suis qu’à 1% de mes capacités.

Je suis un workaholic. À peine un défilé fini, je prépare le prochain. Je commence souvent à 4 heures du matin. En marge des collections, je conçois des créations pour Michelle Obama, Taylor Swift, Rihanna, Beyoncé ou Lady Gaga. Les gens pensent que ce sont les célébrités qui me contactent. C’est arrivé avec Björk et avec la styliste de Kristen Stewart. Mais sinon, il s’agit de placements de vêtements gérés par mon agent.

L’aventure a commencé alors que j’étais junior designer chez Louis Vuitton. À côté, je faisais mes propres habits, mon hobby depuis toujours. En voyant mes pièces, Alexandre Capelli, responsable environnement du groupe LVMH, m’a offert de financer une collection. L’entreprise de luxe Matchesfashion a tout acheté: la maison Germanier était née.

Je collabore aujourd’hui avec une trentaine de personnes: mon père pour ses précieux conseils d’entrepreneur; mes seize tricoteuses en Valais que sont ma mère, ma grand-mère, mes tantes et leurs amies; une équipe parisienne principalement composée de Suisses, et les responsables de la grosse production, technologie et broderies faites main, à Shanghai et aux Philippines.

Je ne veux pas de l’image du créateur diva. Je suis très attaché à mes valeurs, à mes racines, à l’authenticité de Germanier, une véritable affaire familiale. Quand je me suis lancé, je ne connaissais rien à la gestion d’entreprise. Pourquoi me passer de l’expérience de mes proches? Ils me permettent aussi de garder les pieds sur terre. Savoir demander de l’aide est un signe de maturité selon moi, pas de faiblesse.

Il y a 10 ans, quand j’ai annoncé à mes parents, après une année préparatoire à la HEAD de Genève, que j’étais admis pour quatre ans au Central Saint Martins College de Londres (où Stella McCartney et John Galliano ont étudié, ndlr), c’était la première fois que j’osais affirmer: je veux créer des vêtements. Avant, je disais que je voulais être architecte ou designer produit, pensant que ça passait mieux. Le défilé de diplôme a été un grand moment pour moi parce que seuls les 30 meilleurs élèves sur 360 y participaient et parce que ma famille était présente. J’ai présenté mon travail sur «Envole-moi» de Jean-Jacques Goldman, la chanson préférée de ma mère. Une surprise pour la remercier d’avoir toujours encouragé mes rêves et respecté mes choix.

Les médias me qualifient de “créateur éthique” parce que chez moi, tout est recyclé: les perles, les Swarovski, la soie… Mais je n’aime pas cette étiquette. Je préfère qu’on parle du fait-main, de la qualité de mes produits, de ma technique de broderie à la silicone que j’ai mis deux ans à mettre au point. Je ne suis pas un activiste. Pour moi, préserver la planète est une évidence, pas une mode ou un argument marketing. Il ne faudrait même pas avoir à en parler, tant cela devrait aller de soi. L’upcycling, je l’ai découvert à Londres car mon école coûtait 9’000 livres par semestre et je n’avais pas les moyens d’acheter du tissu neuf. J’allais chez Emmaüs, je recyclais du coton blanc, des draps, des chutes. Cela m’a forcé à développer encore davantage ma créativité: je ne pars jamais d’un dessin, ce sont les éléments récupérés qui m’imposent une gamme de couleur, de tissus.

Germanier, c’est clinquant, c’est de la couleur, de l’extravagance, tout ce que moi, toujours habillé en noir, je n’exprime pas au quotidien. Mon univers est inspiré de l’Asie, des mangas et jeux vidéo avec lesquels j’ai grandi. Ma muse est digitale, futuriste. J’habille aussi la star de K-pop Sunmi, devenue une amie. Je ne cherche pas à être cool. Il n’y a rien de moins sustainable que de suivre une tendance: elle ne sera cool qu’une saison. Ce qui m’importe, c’est de créer un beau produit. Pour l’avenir, j’aimerais que Germanier reste une entreprise à taille humaine. En parallèle, je rêve aussi de reprendre la direction artistique de la maison Christian Dior.»