La session de printemps des Chambres fédérales offre le spectacle un peu désolant de parlementaires et de Conseillers fédéraux s’efforçant de trouver dans la guerre la justification de leurs propres préjugés.
On aimerait, bien sûr, pouvoir parler d’autre chose. Mais de quoi? La guerre que mène la Russie de Poutine contre l’Ukraine démocratique est partout, dans toutes les têtes. La session de printemps des Chambres fédérales ne cesse de tourner autour. Un exercice qui peut avoir parfois quelque chose de gênant, tant il montre que chacun essaie de tirer de la barbarie dont fait preuve la junte au pouvoir à Moscou la confirmation de ses propres lubies, l’occasion de mettre en avant ses propres préjugés, si non sa petite tambouille idéologique.
Et ce sans craindre les plus audacieux grands écarts. Comme de retrouver des vertus colossales à cette OTAN dont on s’était pourtant tellement gaussé, comme à cette Union européenne qu’on prenait jusque-là d’assez haut, au point de ne pas trouver les moyens d’accepter un accord-cadre avec elle. Les cloches dorénavant carillonnent une toute autre mélodie. «L’OTAN s’est réveillée. Collaborons avec nos voisins et amis», s’enthousiasme le socialiste jurassien Pierre-Alain Fridez. «La Suisse appartient à l’Europe, sans mais ni quand», renchérit le vert libéral lucernois Roland Fischer.
Bref, plus aucune trace soudainement de la fierté tant fois exprimée devant l’impétueuse et solitaire exception helvétique, ce Sonderfall tant de fois célébré. Le PLR tessinois Rocco Cattaneo en profite, lui, pour faire de la retape en faveur de la votation du 15 mai sur l’augmentation de la participation financière de la Suisse à Frontex, le système de défense des frontières extérieures de l’UE, parlant même d’un devoir de «solidarité».
Le Conseil fédéral lui-même n’hésite pas à faire feu de tout bois guerrier. Madame transition énergétique, Simonetta Sommaruga, prend prétexte du gaz et du pétrole russe pour lancer un vibrant appel «contre le gaspillage énergétique»: «La Suisse et l’Europe ont trop fait confiance aux importations de gaz, de pétrole, d’uranium et d’électricité. Cette dépendance est dangereuse.»
Ne reste plus au Conseil fédéral qu’à battre sa coulpe, à se verser sur la tête quelques sacs de cendres fossiles, en se rappelant qu’il a poussé, avec l’aide certes du bon peuple, à la sortie du nucléaire, énergie indépendante s’il en est.
Sur le même thème, les Verts n’hésitent évidemment pas à en faire des tonnes, à agiter l’épouvantail belliciste russe pour mieux faire passer leur propre crédo énergétique et l’amère potion qui va avec, comme l’a martelé le Conseiller national genevois Nicolas Walder: «La Suisse continue d’alimenter grassement le régime russe par son addiction aux énergies fossiles», dont il faut «cesser l’importation» et conséquemment «inviter la population à la sobriété». Là non plus pas l’ombre d’un remord, pas un éloge funèbre à destination du nucléaire envoyé au rebut, quoique si peu fossile et pas du tout russe.
La question des réfugiés a aussi permis à chacun de réciter sans vergogne son sempiternel et vieux catéchisme. On a pu donc pu entendre la socialiste vaudoise Ada Marra se féliciter du «nouveau virage en matière d’accueil des réfugiés», mais sans pouvoir s’empêcher d’ajouter que «cela devait s’appliquer à tous». Le fait que les réfugiés ukrainiens soient essentiellement des femmes et des enfants, qu’il ne s’agit pas d’une quelconque guerre civile mais d’une agression contre un pays démocratique ne joue évidemment aucun rôle pour Ada Marra: tout migrant frappant à notre porte doit être traité comme un Ukrainien fuyant les bombes.
L’autre bord ne se montre pas moins indécent. L’UDC zougois Thomas Aeschi, obnubilé par la tarte à la crème préférée de son parti, la distinction entre vrais et faux demandeurs d’asile, en profite pour demander assez sordidement que «les réfugiés économiques admis temporairement soient renvoyés chez eux pour faire de la place aux vrais réfugiés, qui eux fuient la guerre».
Comme si chacun s’efforçait de trouver dans la guerre la confirmation de ses propres convictions, surtout lorsque cette même guerre en démontre toute l’inanité.