TECHNOPHILE

Le chercheur genevois qui va «changer le monde»

Pourquoi le système de cryptage quantique de Nicolas Gisin vient-il d’être sélectionné parmi «les dix technologies qui vont changer le monde» par la prestigieuse revue du Massachusetts Institute of Technology ? Explications.

Il faudra un jour analyser le rapport très particulier que Genève entretient avec l’opacité. A quelques encablures du quartier des banques, dans un laboratoire tout aussi discret, des physiciens de l’université travaillent au blindage de la sphère privée. Les travaux du professeur Nicolas Gisin et de son équipe garantiront bientôt une confidentialité absolue des communications. Ils viennent d’être sélectionnés parmi «les dix technologies émergentes qui vont changer le monde» par la très prestigieuse Technology Review du MIT (Massachusetts Institute of Technology).

Le secret est une industrie. Aujourd’hui, pour sécuriser les communications, on a recours à des logiciels de cryptage basés sur des clés numériques qui sont considérées comme sûres, parce qu’aucun ordinateur n’est encore assez performant pour les mettre à jour. Mais avec la montée en puissance des calculateurs, il est toujours théoriquement possible de percer les codes, et donc de pirater les informations protégées.

Le système développé à Genève, en revanche, est certifié inviolable. «La sécurité de notre technique est garantie mathématiquement», confirme Hugo Zbinden, maître enseignant associé au professeur Gisin. Cette technique repose sur la physique quantique, qui régit le monde de l’ultrapetit, en-deçà du micron. Il faut savoir qu’à cette échelle, les particules obéissent à des lois très particulières: elles s’altèrent aussitôt qu’on les détecte. Il est donc impossible d’intercepter un signal quantique sans le modifier.

Ce défaut est aussi une qualité – une qualité exploitée par l’équipe du professeur Gisin. Son dispositif se compose d’un générateur de nombres aléatoires ainsi que de deux petits appareils, baptisés «Alice» et «Bob», chargés de transmettre la clé de cryptage sous la forme de photons. Si cette clé est interceptée par des pirates, «Alice» et «Bob» s’en aperçoivent puisque le signal aura été altéré. Ils continueront alors à s’envoyer d’autres clés, jusqu’à ce que l’une d’elles arrive à destination sans encombre. Cela constituera alors la garantie que la communication est sécurisée.

Le système fonctionne, mais seulement sur de courtes distances (l’équipe genevoise détient le record mondial avec une transmission quantique sur 67 kilomètres entre Genève et Lausanne). Il s’agit maintenant de stabiliser le dispositif. «L’amplification est impossible, mais on peut s’arranger pour limiter le bruit, de manière à ce qu’il reste plus petit que le signal, explique Nicolas Gisin. On appelle cela la téléportation quantique!» C’est le nouveau défi de l’équipe genevoise et de la société Id Quantique SA, qu’elle a fondée.

L’équipe va-t-elle conserver son avance? «Aux Etats-Unis, il y a certainement des labos liés aux services secrets qui effectuent des recherches dans le même domaine, explique Hugo Zbinden. Mais évidemment, ils ne publient pas leurs résultats. Nous, par contre, nous travaillons dans la transparence.» La transparence au service du secret: ça pourrait être le slogan des quanticiens genevois.

Lutter contre Big Brother

«Une certaine fierté.» C’est ce que le professeur Gisin dit avoir ressenti en apprenant que son travail avait été sélectionné parmi «les dix technologies émergentes qui vont changer le monde». «Nous étions d’autant plus surpris que les neuf autres équipes étaient américaines!»

La percée genevoise vient encore renforcer la réputation de la Suisse en matière de cryptographie. «Cette tradition est liée au libéralisme. Nos lois sur l’exportation de matériel de cryptage sont très libérales», explique Nicolas Gisin. Ce qui ne manque pas d’agacer certains services secrets, notamment américains. Les centrales d’espionnage vont-elles chercher à étouffer ces découvertes qui leur mettent des bâtons dans les roues? «La question se pose. Mais à l’heure où il y a cette capacité d’un Big Brother de tout surveiller, le fait de garantir des communications privées et sécurisées est un réel avantage.»

Les recherches de l’équipe genevoises sont soutenues financièrement par diverses entreprises privées, notamment la Banque Lombard Odier.

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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 26 janvier 2003 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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