LATITUDES

L’ethnographie du téléphone portable

L’étude «On/Off» analyse notre rapport au téléphone. Pendant un an, cinq chercheurs américains ont observé les usagers de mobiles.

«Je peux joindre ma famille à tout moment pour leur parler, mais dans le fond, ce n’est pas pour nous rapprocher, cela me permet plutôt de m’éloigner», dit Nora, 15 ans, en s’adressant à la caméra. Elle raconte son rapport au téléphone mobile dans cialis dosage, un long-métrage documentaire que vient d’achever une équipe de chercheurs de l’Illinois Institute of Technology. Le but du projet est d’illustrer l’incidence des communications mobiles sur le quotidien des utilisateurs et de leur entourage.

Le film, financé par un groupement d’entreprises dont fait partie Motorola, a bénéficié d’un budget de 250 000 dollars. Près d’une centaine de personnes ont été impliquées dans sa réalisation, qui s’est étendue tout au long de l’année 2002. On/Off est d’abord destiné à des séminaires de brainstorming réunissant ingénieurs, concepteurs, anthropologues et sociologues pour leur permettre de réfléchir ensemble à l’évolution des nouvelles technologies et de les rendre plus adaptées à leur environnement.

La méthode de l’équipe de tournage s’apparente à l’ethnographie: les cinq chercheurs sont allés vivre au quotidien avec quatre familles sélectionnées à Chicago, Londres, Recife (Brésil) et Shanghai. Caméra numérique à la main, ils ont suivi les individus pendant une semaine dans tous leurs déplacements, en observant la manière dont ils utilisaient les technologies. «Les quatre familles ont présenté des différences de comportement liées surtout à des facteurs culturels, explique Jay Melican, l’instigateur du projet.

Aux Etats-Unis, les adolescents perçoivent le portable comme un rite de passage au stade adulte et une libération de l’emprise parentale. Avoir un mobile leur donne une nouvelle indépendance. Leurs parents acceptent de les laisser sortir avec des amis, tout en gardant le contact.»

Au Brésil et en Chine, en revanche, les enfants ne cherchent pas à se distancier de leur famille, car ils savent qu’ils resteront liés tout au long de leur vie. Les sorties et loisirs s’effectuent toujours dans un cadre familial, avec frères, sœurs, cousins, cousines, puis, après le mariage, avec la belle-famille. Les individus se servent de leurs téléphones mobiles principalement pour communiquer entre eux.

Aux Etats-Unis et en Europe, les adolescents ont une vie parallèle dont les adultes ignorent souvent les rituels les plus courants, comme le fait de recevoir des coups de fil à 2 heures du matin, s’échanger des SMS en classe, ou concocter des combines pour réduire le coût des appels. Très populaire, la technique du «pranking» consiste à téléphoner à un portable puis à raccrocher le plus vite possible, laissant ainsi un «appel en absence» chez le destinataire qui rappellera à ses frais.

Toujours aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les cartes prépayées et les «minutes» sont la nouvelle monnaie d’échange entre parents et enfants, remplaçant l’argent de poche. Le crédit téléphonique est devenu une source constante de discussions et de négociations, payé en échange de services rendus.

Le tableau est évidemment bien différent en Chine, où la famille d’observation a été sélectionnée sur le critère de l’accès à l’internet à domicile. LuFan, âgé de 17 ans, décrit l’ordinateur et le téléphone mobile comme des outils lui permettant de participer à la nouvelle économie et de réussir sa vie professionnelle. Mais pour le moment, il est le seul de son entourage à posséder ces outils. Il n’a personne à qui envoyer un e-mail.

Les dangers du mobile

Ce qui a le plus étonné le chef du projet, Jay Melican, ce sont les différences de perception concernant les dangers éventuels des téléphones portables sur la santé. «Aux Etats-Unis, on n’en parle presque pas, alors qu’au Brésil, les usagers sont très concernés par les radia-tions qui pourraient affecter le rythme cardiaque – lorsque les mobiles sont portés dans la poche de la veste près du cœur – ou par des effets indésirables sur la virilité – lorsqu’ils portés dans la poche du pantalon.» La société Levi’s a d’ailleurs annoncé le lancement pour 2003 d’un nouveau pantalon pour hommes, dont les poches intérieures sont revêtues d’une doublure antiradiation.

Quant aux Britanniques, ils sont plutôt concernés par les radiations qui pourraient provoquer des tumeurs au cerveau, et par le fait que les portables risquent de leur faire perdre la mémoire au profit de la mémoire de leurs cartes SIM.

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Une version de cet article de Largeur.com a été publiée le 11 janvier 2003 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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