LATITUDES

«Cordonnier est un métier d’avenir, même s’il s’agit d’un art très ancien»

Joséphine Bailat a repris une cordonnerie à Genève à l’âge de 27 ans. De quoi dynamiser ce métier que l’on pourrait considérer comme désuet. L’entrepreneuse estime au contraire que l’art du soulier vit un regain d’intérêt de par les préoccupations écologiques de la jeune génération.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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«Je suis arrivée dans le métier un peu par hasard. Après une maturité gymnasiale artistique, j’ai commencé des études universitaires en histoire et histoire de l’art. Mais j’ai arrêté après une année. J’avais envie d’un métier plus concret, quelque chose de manuel. Comme j’ai toujours bien aimé les chaussures, je me suis dit: pourquoi pas la cordonnerie? C’est un métier permettant de travailler des matières nobles, qui se pratique à l’intérieur, un peu physique mais tout à fait accessible. A l’époque, un de mes amis était coursier et il faisait régulièrement des livraisons à la cordonnerie Seror, aux Eaux-Vives (GE). Il m’a aidé à y dégoter une place d’apprentissage.

Après l’obtention de mon CFC en 2013, je suis restée encore deux ans dans le magasin pour y travailler. Un de mes collègues cherchait à ouvrir sa propre boutique, il m’a proposé de me lancer avec lui. J’avais très envie de gérer mon emploi du temps, ma façon de travailler, la relation clients. En revanche, le rôle de cheffe d’entreprise et le travail administratif que cela demande m’effrayait. Mon père, banquier, m’a beaucoup encouragée, promettant de m’aider pour les aspects de gestion du magasin. Alors, je me suis lancée.

Avec mon associé, nous avons appris le décès d’un cordonnier qui tenait boutique au Boulevard du Pont d’Arve, en plein centre-ville de Genève. Nous y sommes allés au culot, écrivant une lettre à sa veuve, qui cherchait à remettre l’arcade. Nous n’étions de loin pas les seuls à postuler. La dame nous a dit que cela lui faisait plaisir que des jeunes reprennent la boutique. C’était en 2016. J’avais 27 ans et mon associé, 22.

Au début, nous avons été aidés par un prêt de la Fondetec. Avec mon associé, nous nous sommes séparés après un an. Maintenant, je suis la seule gérante. J’ai eu deux employés successifs. Celui avec qui je travaille aujourd’hui, Charles, est aussi mon meilleur ami. Il est employé sur le papier, mais en réalité, il s’investit autant que moi.

Le Covid a représenté une période compliquée, mais depuis quelques mois, les clients reviennent. Nous avons aujourd’hui une affluence régulière, constituée de personnes actives ou d’un certain âge, pour des réparations plutôt fonctionnelles. Et puis, nous recevons de plus en plus de jeunes, intéressés par le travail de la matière et qui cherchent à comprendre ce qu’il y a derrière une chaussure. Ils souhaitent donner une durée de vie plus longue à leurs objets, conscients de la limite des ressources planétaires. Je dirais que cordonnier est un métier d’avenir, même s’il s’agit d’un art très ancien.

Notre magasin s’appelle la Nouvelle Cordonnerie du Pont d’Arve. Notre but n’est pas de révolutionner la profession, nous sommes mêmes passablement attachés à son aspect traditionnel. Mais je pense que notre clientèle aime notre côté jeune, qui se révèle dans notre accueil dynamique, dans nos délais courts et dans la transparence dont nous faisons preuve. Nous essayons d’expliquer ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons, de prévenir le client avec honnêteté que sa chaussure est bas de gamme et qu’on ne peut rien faire pour lui. Parfois, les clients repartent sans réparation, mais en étant contents d’avoir appris quelque chose.»

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6 apprentis, c’est le nombre d’étudiants qui se sont formés à la cordonnerie en même temps qu’elle, pour tout le pays. Les cours théoriques avaient lieu à Lausanne, et la partie pratique, deux fois par an, était en Suisse alémanique.

50 à 100 paires. Le nombre de paires de chaussures réparées par semaine avec un pic d’activité en juin et septembre/octobre.

170 francs. C’est le prix d’un ressemelage complet sur une paire de chaussure en cuir cousu à la Nouvelle Cordonnerie du Pont-d’Arve. «Avec patins de protection ou fer encastré offerts», précise Joséphine Bailat.