CULTURE

Mix, Pajak, Noyau, des amis phénoménaux

Ils ont fait de Lausanne, dans les années 1990, la capitale du rire noir et de l’irrévérence graphique. Cinq ans après la mort de Mix, auteur des célèbres «gros nez», Pajak prépare un film pour raconter l’histoire de cet ami au trait minimaliste et à l’humour radical.

Certains parlent de «l’école de Lausanne», d’autres évoquent un «mouvement» façon dada. Ce qui est sûr, c’est que la scène graphique lausannoise a vécu, dans les années 1990, une période d’intensité créative phénoménale née de la rencontre de trois personnalités: Frédéric Pajak, Philippe Becquelin, alias Mix & Remix, et Yves Nussbaum, alias Noyau, explorateurs d’espaces mouvants, entre peinture, graffiti et dessin, virtuoses du rire noir, provocateurs au talent mordant et à la liberté irréductible. Un trio qui s’élargit souvent en quatuor avec Anna Sommer.

«On était comme une sorte de groupe, mais informel», dit Frédéric Pajak, qui a retracé trente ans d’amitié créative dans Les Étoiles souterraines (Éd. Noir sur Blanc), publié en 2015. Pour sa sortie, le festival BDFIL avait consacré une exposition à ses auteurs. Et les étoiles, au complet, y avaient retrouvé leur public. C’était un an avant la mort de Philippe Becquelin. Aujourd’hui, le même Pajak, infatigable lanceur de projets, prépare un film à sa mémoire: «Ça s’appelle Mix & Remix, lettre à l’ami. J’y raconte l’histoire de Mix à travers notre relation.» Annoncée pour décembre, la sortie du film sera accompagnée d’un livre et d’une exposition à la galerie lausannoise Richterbuxtorf, qui expose ces artistes depuis des années.

L’aventure de ce trio d’enfer naît sur la scène alternative lausannoise de la fin des années 1980, au son des nuits électriques du cabaret rock La Dolce Vita. Pajak, qui a créé son premier journal à 12 ans et ne s’est jamais arrêté depuis, a déjà travaillé avec Mix, ce «garçon timide, excessif et drôle». La conjonction avec Noyau, qui habite Zurich, se fait en 1989, autour de Good Boy, publication gratuite à succès, née comme agenda de concerts et devenue le manifeste esthétique d’une génération.

Dans un autre épisode de la saga, en 1994, on découvre Mix et Pajak dessinant, la nuit, dans un petit local au sommet du beffroi de la Cathédrale. Régulièrement, Mix se lève et va annoncer l’heure aux habitants de la ville endormie: le guet de la Cathédrale de Lausanne, c’est lui. Les deux amis dessinent un journal satirique créé, bien sûr, par Pajak: L’Éternité hebdomadaire, auquel Noyau et Anna Sommer collaborent depuis Zurich. Le ton est mordant et en prise avec l’actualité. C’est là que Mix fait ses premières expériences comme dessinateur politique: son succès, dans les années qui suivent, sera fulgurant et sa popularité immense. Après avoir collaboré à L’Hebdo puis au Matin Dimanche et décliné l’offre de Charlie Hebdo, il s’apprêtait à rejoindre Le Monde lorsque la maladie l’a emporté.

Pajak, qui a longtemps habité Paris, a déployé, de son côté, une œuvre unique à cheval entre dessin et écriture, dont un époustouflant Manifeste incertain en neuf volumes. Il a reçu cette année le Grand Prix suisse de la littérature pour l’ensemble de son œuvre. Noyau, qui a collaboré notamment au Tages Anzeiger, vit et dessine toujours à Zurich avec Anna Sommer. Dès que Pajak aura fini son film, il les appellera pour lancer son prochain projet: un nouveau journal, bien sûr, imaginé avec Mix: «Ce sera très particulier, ça ne ressemblera à rien du tout…» Noyau et Anna ont déjà dit oui. «On continue.»

_______

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (no7).