KAPITAL

Roland Coutanceau: «Si la victime parle, le mécanisme de harcèlement ne peut plus fonctionner»

Les harceleurs jouent de la manipulation et de la pression qu’ils exercent sur leur victime. La parole permet de briser cette emprise. Le psychiatre français Roland Coutanceau, spécialiste du harcèlement au travail, donne ses conseils pour les identifier.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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Est-ce qu’il existe un profil psychologique spécifique du harceleur?

Roland Coutanceau: Oui, des traits communs se retrouvent chez la plupart des harceleurs, ce qui permet de dégager quelques caractéristiques fréquemment présentes chez ce type de personnes. Il s’agit souvent de sujets égocentriques et manipulateurs, qui parviennent à développer une relation d’emprise envers autrui. Ils trouvent aussi un petit plaisir à mettre une pression sur autrui. Le harceleur a ainsi la capacité à entrer dans une forme de jeu avec les autres. On remarque aussi que ce sont rarement de grands timides. Au contraire, il s’agit souvent de personnes capables de faire preuve d’une grande assurance.

Comment agissent-ils?

Pour bien comprendre comment la manipulation opère, il faut considérer ces situations dans leur dynamique globale: l’opération peut uniquement réussir si la personne victime de harcèlement présente des fragilités qui la rendent manipulable. Néanmoins cela ne signifie en aucun cas que la victime est en faute. Tout le monde peut présenter ce type de failles. Parmi les modes d’abus, le harcèlement et la manipulation, contrairement à la violence physique, par exemple, reposent sur des mécanismes subtils et implicites, ce qui les rend d’autant plus difficiles à repérer. C’est là la grande difficulté de ce type de situations.

Souvent, celui qui est harcelé n’en parle pas à un proche. Il se créé alors une forme de bulle, et la dynamique de harcèlement continue. De plus, la situation n’est souvent pas très claire pour la victime, qui a tendance à minimiser ce type de violence et ne parvient pas à nommer le mal qui lui est fait. Cela explique qu’il y a souvent, de nos jours, une grande latence entre le moment où les faits se déroulent et l’instant où ils sont nommés de façon claire. Malheureusement, le harceleur s’en sort souvent parce que l’agression n’était pas assez explicite. Mais aujourd’hui beaucoup d’échanges se passent par écrit, ces types de comportements laissent donc des traces et il est ainsi plus facile de les démontrer, puis de les dénoncer.

Que faire pour éviter ce type de situations?

La stratégie du harceleur repose entièrement sur le fait que les victimes restent dans le silence. Si le sujet parle, le manipulateur est démasqué et le mécanisme de harcèlement ne peut plus fonctionner. Il est donc capital, pour empêcher ce type de situation, de favoriser une culture de la parole. Il faut pouvoir communiquer le plus tôt possible, même en cas d’incertitude, pour pouvoir court-circuiter ces comportements de harcèlement.

Pour moi, la solution réside dans le fait de pouvoir tuer le processus dans l’œuf. Parfois, le simple fait de réunir les personnes concernées, d’exposer la situation et de demander qu’elle cesse immédiatement peut se révéler particulièrement efficace. Au sein d’une entreprise, par exemple, il est important de favoriser la parole, d’encourager les collaborateurs à être actifs, à parler dès qu’une chose est suspectée et cela même, et surtout, si l’on n’est pas concerné. Une autre solution est de proposer des formations aux employés sur les mécanismes du harcèlement, afin que tout le monde puisse les décoder et donc les désamorcer le plus rapidement possible.

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Bio express: Roland Coutanceau est psychiatre et président de la Ligue française de santé mentale. L’organisation vise notamment à améliorer la compréhension des troubles psychiques afin de limiter leur sévérité. Il a écrit de nombreux ouvrages dont «Stress, burn-out, harcèlement moral: de la souffrance au travail au management qualitatif», codirigé avec Rachid Bennegadi et Serge Bornstein, publié en 2016 aux éditions Dunod.

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