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En état de mort clinique

Le Conseil fédéral démontre qu’il est plus facile de jouer les matamores en période de pandémie que lorsqu’il s’agit de négocier avec l’Union européenne un impossible accord-cadre.

L’Union européenne vient donc d’annoncer que faute d’accord-cadre, elle ne renouvellerait pas l’accord de reconnaissance mutuelle concernant les produits médicaux arrivant à échéance. Une réaction du Conseil fédéral, pourtant très féru de questions de santé ces derniers temps, était attendue. On l’attend toujours.

Il est certes plus facile de décréter combien de personnes chacun peut recevoir chez lui, quels magasins ont le droit de rester ouverts, combien de pékins sont autorisés à se réunir en public, ou d’interdire aux restaurateurs de travailler, que de dompter ce serpent de mer absolu qu’est devenu l’accord-cadre avec l’Union européenne.

Cela fait des mois que le gouvernement avait arrêté sa stratégie officielle, consistant en gros à jurer en avoir une, tout en refusant de dire laquelle. Tout cela expliqué dans un tweet sans réplique du vice-chancelier et porte-parole André Simonazzi: «Le Conseil fédéral a fixé sa position sur l’accord institutionnel, mais il ne la rendra pas publique pour ne pas entraver la marge de manœuvre de la Suisse dans les discussions.» Avec plein d’autres bonnes raisons du même tonneau pour justifier ce mutisme. Du genre: «C’est avec Bruxelles qu’il faut désormais parler, pas avec les médias.»

Il paraîtrait quand même que les sept sages auraient dans l’idée de finalement accepter ce point d’achoppement que représente la Cour de justice de l’UE, censée, selon l’accord, trancher les litiges de droit entre les deux parties. Mais en lui soustrayant le pouvoir d’intervenir sur les points les plus contestés en Suisse, à savoir: la protection des salaires, les aides d’Etat et la directive sur la citoyenneté, qui favoriserait l’accès des citoyens européens aux assurances sociales.

Voilà, selon certains observateurs, qui ressemble diablement à une quadrature du cercle puisque si l’UE souhaite un accord-cadre c’est précisément pour que la Suisse abandonne des mesures d’accompagnement jugées trop protectionnistes et obtenir la reprise de la directive sur la citoyenneté.

Il ne reste d’ailleurs plus grand monde pour y croire. On sait que depuis toujours l’UDC considère cet accord-cadre comme «un accord de vassalité» et que les autres partis, à part les Verts libéraux, sont de plus en plus dubitatifs.

L’inaction du Conseil fédéral est largement attribuée à celui qui, depuis son élection, sert un peu on ne sait trop pourquoi, de bouc émissaire à tout, dans la classe politique comme dans les  médias: le ministre des Affaires étrangères. À l’image de ce jugement du chef du groupe parlementaire PS Roger Nordmann: «Les tergiversations d’Ignazio Cassis ont tellement duré que les chances de réussite de l’accord fondent à vue d’œil.»

Quant au PLR -le parti d’Ignazio Cassis-, il avance sur des charbons ardents, comme le résume le conseiller national Damien Cottier: «Une vraie question à se poser est celle du coût politique d’un arrêt brutal des négociations. Je pense qu’il pourrait être assez élevé.» Il y a pire: le président du PDC, Gerhard Pfister, qualifie carrément certains points de l’accord de «toxiques».

Les milieux économiques, eux, sont divisés entre deux positions contradictoires. Regarder l’accord comme absolument essentiel à la bonne marche des affaires, ou trouver au contraire que se soumettre à la Cour de justice de l’UE, c’est une perte de souveraineté inacceptable qui équivaudrait à une reprise «quasi automatique» du droit européen.

Une position que partagent, pour d’autres raisons, les syndicats, tel UNIA et son chef Pierre-Yves Maillard qui voit dans la fameuse Cour, «un acteur clé des libéralisations», au service d’une UE qui «veut massivement réduire l’intensité du contrôle du travail détaché et faire contrôler la proportionnalité de nos mesures».

Bref le diagnostic le plus courant désormais, c’est que cet accord-cadre serait «en état de mort clinique» et qu’il n’aurait aucune chance dans une votation populaire déclenchée par l’UDC. Sans la perspective, qui plus est, du moindre plan B.

“Est-ce si grave après tout?”, diront les cyniques. S’agissant par exemple de la gestion de la pandémie, et notamment des campagnes de vaccinations, ne pourrait-on pas conclure objectivement que la petite Suisse isolée fait aussi bien, c’est-à-dire aussi mal, que la grande Union voisine?