LATITUDES

L’IA au chevet de la gestion des flux de patients

Une gestion optimale des lits hospitaliers est indispensable pour garantir le meilleur accès aux soins aigus. En Valais, une entreprise a développé un outil prédictif basé sur l’intelligence artificielle, qui pourrait se généraliser.

Dans un monde idéal, les responsables des hôpitaux sauraient exactement combien de patients s’apprêtent à arriver chaque jour dans leur établissement et à quelle heure. Dans quels services ils y séjourneront. Combien de temps ils y resteront. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal, encore moins en période de crise sanitaire.

Dans les faits, les hôpitaux doivent composer avec les aléas de la météo, des accidents, des manifestations, et, plus simplement de la vie. Dans les secteurs particulièrement impactés par ces imprévus – urgences, soins intensifs, soins continus et unités de médecine interne adulte – les capacités d’accueil maximales sont régulièrement atteintes.

Afin de garantir l’accès aux soins aigus à ceux qui en ont besoin, une utilisation optimale des lits hospitaliers est indispensable. C’est là qu’entre en scène la gestion des flux. Au CHUV, neuf personnes sont chargées de « faire en sorte que les patients soient transférés dans le bon service, dans le plus court délai et en évitant tant que faire se peut les engorgements », explique François Decaillet, infirmier-chef de la gestion des flux patients. Précurseur, le CHUV s’est doté d’une telle entité en 2002. « Actuellement, la mise sur pied d’une gestion des flux cohérente et systématique se généralise à travers le pays. »

Plus de 250 mouvements par jour

S’appuyant sur les dossiers des patients, ainsi que sur des logiciels stratégiques, les infirmières coordinatrices du CHUV suivent plus de 250 mouvements par jour. « Il est indispensable d’être au courant de l’état des malades ; les membres de notre équipe participent donc aux colloques des différents services », précise l’infirmier-chef. Les spécialistes de la gestion des flux sont par ailleurs en contact étroit avec les cadres de ces différents services afin de « discuter des entrées et des transferts vers chacun d’entre eux ». De même, les transferts vers d’autres hôpitaux et structures de soin, par exemple les centres de réadaptation et les EMS, doivent être minutieusement planifiés. À noter que l’équipe de François Decaillet est également responsable de la gestion de nuit des ressources en cas d’absence de membres du personnel hospitalier du CHUV.

Lorsque l’engorgement se fait tout de même menaçant, un catalogue de mesures à court terme est à disposition : transferts vers des hôpitaux partenaires, hébergement dans d’autres services – on parle alors de satellisation –, sorties anticipées, annulations chirurgicales, voire mixité dans les chambres. En ce qui concerne le moyen terme, « nous sommes en mesure de soutenir les décideurs dans leurs plans stratégiques », tels que l’ouverture de lits ou le développement de la prise en charge ambulatoire.

Situation de crise

Avec le Covid-19, la tension est sans surprise montée d’un cran au sein de l’équipe de gestion des flux patients du CHUV. « Rien qu’en réanimation, il a fallu doubler le nombre de lits », rapporte François Decaillet. À l’image de leurs homologues à travers le pays, les infirmières coordinatrices du CHUV ont été chargées d’alimenter au quotidien le Système d’information et d’intervention (SII), un outil de la Confédération « recensant les lits Covid en Suisse et permettant d’avoir une vision d’ensemble de la pandémie à l’échelle cantonale, voire nationale ».

Dans le contexte de la crise, « on a donc changé de paradigme en matière de gestion des flux patients », commente Vincent Adatte, adjoint de la Direction des soins du CHUV en chargé des projets stratégiques. « Avant la pandémie, il y avait bien sûr déjà des états des lieux réguliers des lits disponibles effectués au niveau cantonal, particulièrement en période de grippe. » Mais il fallait pour ce faire « soit activement aller chercher l’information dans les autres établissements hospitaliers, par email ou par téléphone, soit la leur communiquer de la même façon ». Le recours au système SII a projeté les hôpitaux dans un processus beaucoup plus méthodique.

Séduite, la Direction des soins du CHUV est en train d’évaluer la pertinence d’une pérennisation de ce mode de fonctionnement à l’échelle cantonale, au-delà de la crise du coronavirus. « L’idée serait que tous les hôpitaux documentent, au quotidien et de façon systématique, leurs capacités en matière de lits de soins intensifs ou encore de soins intermédiaires. » Cette information partagée permettrait la création d’une sorte de pot commun à la disposition de tous les établissements. « L’outil pourrait être le SII, que nous connaissons déjà et qui a l’avantage de pouvoir être élargi à l’échelle nationale en cas de nouvelle crise d’envergure. » Mais il pourrait également s’agir d’un autre logiciel.

Prédire l’avenir sur la base du passé

En France, le CH Valenciennes teste déjà un système prédictif. Depuis 2019, l’établissement hospitalier s’appuie sur une solution basée sur l’intelligence artificielle, développée par la société valaisanne Calyps. Interpellée par l’explosion du nombre de patients admis aux urgences (+64% entre 2008 et 2019), qui – à l’image de ce qui se passe dans de nombreux hôpitaux hexagonaux – a entraîné de plus en plus d’épisodes de tension, la direction du CHV a approuvé le recours à la modélisation dans la gestion des flux.

Sur leur ordinateur, les médecins peuvent visualiser le flux de patients attendus aux urgences durant les sept prochains jours – qu’il s’agisse de patients entrants, sortants ou présents – avec une précision à l’heure. « La fiabilité de ces prédictions est de l’ordre de 90% », indique Tony Germini, le CEO de Calyps. Pour anticiper le nombre de lits qui seront nécessaires à un moment donné, le logiciel croise les données de patients avec des informations externes, telles que les prévisions météo, les facteurs calendaires (vacances, etc.) ou encore certains critères sociologiques. « Grâce au machine learning et au deep learning, nous sommes capables de prédire l’avenir sur la base du passé. »

Enthousiasmés par la plateforme de Calyps, « qui ne cesse de gagner en performance au fil des mises à jour », les responsables du CHV envisagent d’étendre son utilisation à d’autres services recevant les patients après leur passage aux urgences. Selon Tony Germini, plusieurs autres grands établissements hospitaliers publics et privés situés en France et en Suisse s’intéressent au logiciel de l’entreprise valaisanne. Mais Calyps ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : « Nous sommes en train de développer un outil permettant de prédire les temps d’attente pour les urgences non prioritaires. » Une formule très intéressante pour le grand public, à qui elle permettrait de savoir quand aller ou éviter de se rendre aux urgences en cas d’infection urinaire ou d’otite.

Les bonnes personnes à la même table

Du côté du CHUV, on a « pris connaissance avec intérêt des possibilités offertes par l’intelligence artificielle en matière de modélisation des flux de patients », souligne Vincent Adatte. Le responsable des projets stratégiques rappelle néanmoins que la structure du CHUV – qui est à la fois un hôpital de proximité pour la région lausannoise et un hôpital universitaire – en fait un établissement particulièrement complexe en termes de gestion de ces flux. « Notre principal défi est de parvenir à mettre les bonnes personnes autour de la même table à l’échelle cantonale et de définir ensemble quels outils adopter et quels paramètres prendre en compte. »

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 21).

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