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A Dublin, Dublin et demi

Les accords entre les pays de l’espace Schengen sur l’accueil des requérants d’asile vont être modifiés. La Suisse officielle s’en réjouit. Pour la forme?

À l’heure où les Suisses s’apprêtent à rejeter probablement l’initiative sur la limitation de la libre circulation et peut-être à accepter, par la supersonique volonté de la majorité alémanique, l’achat de nouveaux avions de combat, il reste sur ces questions d’immigration et de souveraineté nationale un trou noir pas près de disparaître. Avec ou sans nouveaux avions de combat, avec ou sans libre circulation à l’intérieur de l’Europe, la situation pour les requérants d’asile et les pays supposés les accueillir, restera exactement la même. A savoir, inextricable.

Tellement inextricable que le règlement de Dublin – signé en 2008 par la Suisse et censé régler les modalités de répartition et d’acceptation, mais aussi de renvoi des migrants – va être abandonné, comme l’a annoncé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Un nouveau règlement devrait être présenté le 23 septembre, dont jusqu’ici la présidente de la commission n’a pas dit grand-chose. Sauf les habituelles belles paroles qui entourent à peu près n’importe quel discours sur le casse-tête migratoire. Parler d’approche «plus humaine», notamment s’agissant des sauvetages en mer, ou de «mécanisme fort de solidarité», cela ne mange guère de pain. Évoquer des «structures communes pour l’asile et le retour» s’apparente à un veux pieux, à du gros bon sens , hélas jamais suivi d’effet sur la complexité des réalités.

On peut d’ailleurs dire exactement la même chose du discours opposé, composé, lui, de vilaines paroles tout aussi mécaniques et déconnectées de la situation sur le terrain. Parler de submersion, d’invasion, de renvois massifs, n’a jamais généré que des flots supplémentaires de salive.

Même si tout le monde s’accorde sur un point: il n’est plus défendable de faire porter l’essentiel de l’accueil des migrants aux pays de première arrivée, à savoir les riverains de la Méditerranée, comme la Grèce et l’Italie. Le nouveau règlement devrait ainsi mieux répartir la responsabilité de chaque pays de l’espace Schengen. Cela tombe bien puisqu’officiellement c’est aussi la position de la Suisse, qui a toujours répété être «favorable à l’instauration d’une clé de répartition pour soulager les états particulièrement sollicités dans les situations de crise».

L’annonce des changements à venir a permis en tout cas à chacun de réciter son petit discours mécanique sur l’asile, inchangé depuis toujours. Les pro-migrants comme la socialiste Ada Marra, disent ainsi leur satisfaction mais sans pouvoir s’empêcher de mettre un bémol, histoire de rappeler leur propre et obsessionnel catéchisme de base: «C’est une bonne nouvelle mais je reste anxieuse car aujourd’hui au sein de l’UE comme en Suisse, je déplore la tendance à renforcer le droit répressif en négligeant les droits fondamentaux des requérants d’asile.»

Le rejet de ce nouveau règlement par les anti-migrants, avant même qu’il ait été détaillé, n’est pas plus argumenté, à entendre par exemple le nouveau patron de l’UDC Marco Chiesa: «Nous étions directement protégés par le règlement de Dublin qui permettait de renvoyer un requérant vers le premier pays d’accueil, ça ne sera plus le cas. Or notre pays est un aimant pour les demandeurs d’asile.»

D’un côté donc ceux qui voient les migrants parés de «droits fondamentaux» et donc devant être accueillis à tout prix, et de l’autre ceux qui identifient dans ces mêmes migrants une épouvantable menace à écarter par tous les moyens, y compris celui de la patate chaude à refiler aux voisins.

Au milieu, des partis comme le PLR ou le PDC qui essaient de ménager les deux sentiments, et n’arrivent guère qu’à produire une drôle de bouillie, qualifiée «d’approche réaliste» et qui ressemble davantage à un doux songe, puisqu’il s’agirait de concilier un accueil digne de ce nom avec une vraie prise en compte des inquiétudes exprimées par les habitants des pays d’accueil.

Bref, la vérité est que personne ne semble avoir le début de commencement d’une solution à la crise migratoire. Pendant ce temps, les Suisses se déchirent sur la question du loup, la loi sur la chasse s’avérant en effet, d’après les sondages, le plus disputé de tous les objets soumis à votation le 27 septembre. Ne serait-ce pas à la nature des sujets âprement débattus que l’on reconnaît les pays heureux, c’est-à-dire insouciants?