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La voiture piégée, le bombardier des pauvres

Caractérisée par son faible coût et sa puissance stupéfiante, la voiture piégée ouvre la voie à des attaques massives contre des zones urbaines. Elle est déjà la cause numéro 1 des pertes américaines en Irak.

George W. Bush sera-t-il accueilli avec des voitures piégées lors de sa tournée au Proche Orient, comme le souhaite un responsable du réseau Al-Qaida?

A l’évidence, l’homme le plus puissant de la planète est pratiquement sans défense contre un terroriste dévalant une rue au volant d’un véhicule piégé. Lui qui a concentré d’énormes investissements dans le domaine de la sécurité aérienne et du bio-terrorisme constate, ahuri, le nombre croissant de bombes artisanales placées sur quatre roues qui fournissent à leurs auteurs une force de frappe sans rapport avec leur poids politique.

L’historien américain Mike Davis retrace dans «Petite histoire de la voiture piégée», un ouvrage rempli de bruit et de fureur, l’histoire de ces attentats motorisés, du premier commis à Wall Street jusqu’aux explosions quotidiennes en Irak, où elles sont la cause numéro 1 des pertes américaines.

Par une journée ensoleillée de septembre 1920, quelques mois après l’arrestation de ses camarades Sacco et Vanzetti, un immigrant anarchiste italien assoiffé de vengeance, Mario Buda, gara son chariot tiré par un cheval aux croisement de Wall Street et Broad Street. Le chariot bourré d’explosifs (probablement du plastic dérobé sur le chantier d’un tunnel) et de morceaux de ferraille se transforma en une boule de feu, laissant un cratère monumental au milieu de la chaussée. Bilan: quarante morts et plus de 200 blessés.

Un pauvre immigrant n’ayant pour tout équipement qu’un maigre stock de dynamite, un tas de ferraille et un vieux canasson avait réussi à semer la terreur à New York. Le 11 septembre 2001, les avions suicides n’étaient-ils pas des voitures piégées auxquelles auraient poussé des ailes, des avatars d’un long processus qui a fait de l’attentat à la voiture piégée une véritable arme de destruction massive?

Le chariot de Buda était le premier prototype de la voiture piégée. Malgré quelques tentatives improvisées dans les années 20 et 30, ce n’est qu’en 1947 que l’idée d’une voiture piégée en tant qu’arme de guérilla urbaine trouva son incarnation définitive. Le 12 janvier, le groupe Stern lança un camion d’explosifs sur un commissariat de la police britannique à Haïfa, en Palestine, faisant 4 morts et 140 blessés.

Par la suite, on voit l’usage de voitures piégées dans un certain nombre de conflits: Saigon (1952), Alger et Oran (1962), Palerme (1963), à nouveau Saigon (1964-66). Le mélange de nitrate d’ammonium et de nitrate de fioul (ANFO) apparaît en 1970 dans un attentat commis dans le Wisconsin puis lors du «Vendredi sanglant», deux ans plus tard, utilisé par l’IRA pour ravager le quartier des affaires de Belfast.

Cette nouvelle génération d’explosifs caractérisés par leur faible coût et leur puissance stupéfiante ouvre la voie à des attaques massives contre des zones urbaines de grande ampleur. La voiture piégée concurrence désormais l’aviation. Un exemple: en 1983, deux camions-suicides causent la mort de 241 marines et 58 parachutistes français à Beyrouth et suscitent le retrait des forces occidentales.

Hezbollah au Liban, Tigres tamouls au Sri Lanka, CIA au Pakistan, FLNC en Corse, Sentier lumineux à Lima, Mafia en Italie… On assiste à l’irréversible mondialisation du savoir-faire terroriste en matière de voiture piégée. Mike Davis décrit l’installation progressive de cette «horreur sur quatre roues».

L’occurrence d’attentats à la voiture piégée concerne actuellement, ou dans le passé récent, au moins 23 Etats, tandis que 35 autres pays en ont souffert au cours du dernier quart de siècle. L’Irak sous occupation américaine est devenu un épicentre mondial du phénomène. La voiture piégée est un des «acteurs paradigmatiques» de ce que les experts du Pentagone définissent comme les conflits «de quatrième génération» ou encore «open-source conflicts».

«Pris ensemble, la voiture piégée plus le téléphone portable plus Internet constituent une infrastructure sans précédent au service du «terrorisme global en réseau », estime Mike Davis.

Régis Debray partage son constat: «De nos jours, c’est l’alliance de la voiture piégée et du site web qui hante le monde de Bush et de Ben Laden», estime le médiologue français dans «Le passage à l’infini».

Les politiciens pensent pouvoir vaincre les terroristes à coups de surveillance panoptique, de détection ionique, de barrages routiers et de suspension des libertés publiques. Une idée utopique pour Mike Davis, persuadé que ce sont les esprits qu’il faut désarmer.

«En l’absence de réformes socio-économiques ou de concessions politiques susceptibles de promouvoir le «désarmement des esprits», la voiture piégée a probablement un avenir prometteur», conclut-il.