KAPITAL

Les banques et la fin de Swissair

Ce lundi, la compagnie aérienne suisse a donné un spectacle unique. Elle s’est fait flinguer en plein vol par le secret bancaire.

Une fois n’est pas coutume. Alors que d’ordinaire je fais partie, lorsque le pays est saisi par une grande fièvre, de l’infime minorité qui avale une aspirine et pense à autre chose, hier, par contre, j’ai été pleinement suisse.

Le matin, je n’ai pas respecté la minute de silence décrétée par le Conseil fédéral pour les morts de Zoug. Non par manque de compassion, mais parce que depuis jeudi, cela fait décidément trop.

Et le soir, j’ai zappé de radio en télé (vraiment nul, le 19.30!) pour suivre l’agonie de Swissair. C’est pas tous les jours qu’on voit une compagnie d’aviation flinguée par les banquiers finir sa vie sur le tendre gazon de Zurich Unique Airport. Vraiment unique comme spectacle, Messieurs les néolibéraux radicaux zurichois. De la belle ouvrage. On en redemanderait presque si cela ne faisait pas si mal à des milliers et des milliers de personnes.

Pourquoi les banquiers? Un succinct retour en arrière s’impose. Quand, au lendemain de l’effondrement soviétique, il est apparu que la mondialisation libérale n’avait plus d’obstacle sur sa route, Swissair, en bonne logique, a décidé de jouer une stratégie globale pour ne pas souffrir de nanisme économique et se transformer en proie facile pour quelque vautour américain ou européen. Le soutien de l’économie suisse lui était assuré. On comptait même entrer assez rapidement dans l’Europe pour participer au festin mondial en s’appuyant ainsi sur une force économique décuplée.

Cela eût pu marcher si au milieu des années 90, les banques suisses, les grandes comme les petites, n’avaient décidé que le maintien du secret bancaire valait toutes les autres options. L’offensive américaine sur les fonds en déshérence n’est peut-être pas étrangère à ce changement de cap. L’arrivée au gouvernement de Pascal Couchepin, radical zurichois d’origine valaisanne, a bétonné ce repli sur mère Helvétie et ses coffres-forts. La Suisse se fermant au lieu de s’ouvrir, le sort de Swissair était scellé. D’intercontinentale, la compagnie était vouée à redevenir intercantonale. C’est ce qui s’est passé hier.

Mais, dira-t-on, ce sont les banques qui hier ont évité la faillite totale en faisant un effort surhumain! La belle affaire. Elles ont du répondant et de belles cagnottes. Les bénéfices d’exploitation du Credit Suisse Group pour l’année 2000 se sont élevés à 7,2 milliards de francs, en augmentation de 35% sur 1999. UBS a encore fait mieux: 8,1 milliards de francs de bénéfice net, en progression de 74% sur 1999. Le milliard que ces deux banques vont débourser pour transformer Swissair en Crossair ne représente que le 6,7% de leurs bénéfices de l’an dernier. Pour des gens près de leurs sous, ce n’est pas une paille, mais pas un sacrifice non plus.

A la place des banques (grandes et petites, alémaniques ou genevoises), je ne me réjouirais pas trop. Le flinguage de Swissair était pratiquement achevé quand est intervenue la catastrophe du 11 septembre. On sait qu’elle a déclenché chez les Américains une crise de phobie du secret bancaire. On a vu vendredi le Conseil de sécurité de l’ONU voter au pas de course et à l’unanimité une résolution demandant la transparence des opérations bancaires pour lutter contre le terrorisme. Si cette fureur inquisitoriale ne retombe pas comme un soufflé – ce qui est possible –, la banque suisse sera appelée à vivre des heures très sombres.

C’est ainsi que la Suisse rapetisse et que nous retrouvons notre posture de nains de jardin.