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Un pistolero au PDC

Tous les partis n’ont pas la chance d’avoir un fin lettré à leur tête. C’est le cas de Gerhard Pfister, président des démocrates-chrétiens. Ses insultes proférées contre Carlo Sommaruga ont rappelé que cet homme-là n’était pas un politicien tout à fait comme les autres.

Un PDC qui pète les plombs, c’est assez rare pour qu’on s’y intéresse un instant. Surtout s’il s’agit du premier d’entre eux, le président du parti, Gerhard Pfister. Difficile bien sûr d’imaginer plus agaçant que l’objet de sa colère, à savoir le conseiller national Carlo Sommaruga.

Ce sont surtout les positions pro-palestiniennes systématiques et sans nuances du socialiste genevois qui en font une des têtes à claques favorites de la droite. Sommaruga est en effet de ces gens de gauche qui ont cru trouver dans la cause palestinienne le dernier endroit au monde où le bien et le mal se livraient encore clairement bataille. Emporté par son enthousiasme militant, le bon Carlo est ainsi incapable de voir jamais la part d’ombre évidente de la cause palestinienne, ni la part de lumière d’Israël, tout aussi évidente. L’inverse en revanche lui saute aux yeux. Tout le temps.

De là à le traiter, comme Pfister l’a fait, de «macho de gauche», d’«hypocrite» et d’«antisémite», il y avait un grand pas qu’un président de parti n’aurait évidemment jamais dû franchir, et dont il s’est d’ailleurs excusé assez rapidement.

Cet incident aura au moins eu le mérite de mettre en lumière une anomalie: pour une fois, des quatre partis gouvernementaux, c’est le PDC qui est doté du dirigeant à la personnalité la plus complexe. Conseiller national depuis 2003, le Zougois Gerhard Pfister est docteur en lettres, comme l’avaient été avant lui son père et son grand-père. Sa thèse, il l’a consacrée à un monument de la littérature allemande contemporaine: Peter Handke. Le fin lettré étant une denrée extrêmement rare sous la coupole, on ne s’étonnera pas qu’à Berne Pfister passe pour un original et un solitaire.

À l’intérieur du PDC, il représente l’aile conservatrice de Suisse centrale. Un conservatisme d’ailleurs essentiellement sociétal, qui considère du même mauvais œil l’IVG et le mariage pour tous. En matière économique au contraire, il fait preuve d’un libéralisme effréné. Estimant que les convictions religieuses relèvent largement de la sphère privée, il préfère s’occuper de questions fiscales que du sexe des anges: «Si quelqu’un réclame des hausses d’impôts, j’essaierai de le convaincre que c’est une erreur. Si quelqu’un est pour l’avortement, je n’essayerai pas de le faire changer d’avis.»

Certains croient distinguer sous la laine de l’agneau PDC le poil rude de l’UDC. Pfister rétorque que premièrement il est beaucoup plus libéral que les agrariens; que deuxièmement l’UDC, ce n’est pas son style; troisièmement enfin que la question des origines n’est pas un argument rationnel et n’a donc rien à faire en politique.

Professionnellement, il a hérité de l’école privée fondée par son grand-père, école qu’il a fini par fermer en 2012. Un journaliste de la Basler Zeitung lui demanda s’il était le fossoyeur de la tradition familiale. Pfister rétorqua que c’était là une vision «bien émotive» non sans rappeler ironiquement le sous-titre du chef-d’œuvre de Thomas Mann, les Buddenbrook: «Le déclin d’une famille». Littérature quand tu nous tiens…

Un déclin qu’il veut éviter à tout prix en revanche, c’est celui du PDC. Il pense qu’il y a une place pour un parti conservateur en dehors de l’UDC et que le PDC aurait intérêt à faire sa grande révolution: passer d’un parti de milieu – le milieu catholique – à un parti d’idées. Ce qui ne l’empêche pas de s’énerver contre les militants qui ont «honte de leur catholicisme»: «Nos électeurs sont à 90 % des catholiques, le catholicisme est dans leurs gènes.»

Sauf que Gerhard Pfister semble adorer brouiller les cartes. Lorsqu’on lui demande s’il est croyant, il répond que «la question n’est pas de savoir si l’on croit en Dieu, mais si Dieu croit en nous». Non sans ajouter: «Je suis catholique. So what?» Suffisamment catholique en tout cas pour s’agacer que sa chère Suisse centrale se soit laissée séduire à ce point par «un fils de pasteur». Entendez Blocher.

Enfin sur son présumé mauvais caractère, son peu de sens du dialogue et son autoritarisme, il minimise: «J’aime exprimer clairement mon opinion, mais je ne veux blesser personne.» Bref, avec Gerhard Pfister – et Carlo Sommaruga a pu s’en rendre compte – c’est un peu la tactique du pistolero  qui est à l’oeuvre: tirer d’abord, discuter après.