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Avantages et inconvénients de la tenaille

Coincé entre les dictats de Bruxelles et les caprices du peuple souverain, le politicien suisse se retrouve condamné au bricolage. La preuve par le paquet fiscal qui marque la rentrée parlementaire.

Misère, un paquet fiscal. Comme rentrée politique on a vu plus ragoutant. Un paquet qui plus est particulièrement mal ficelé puisqu’il lie la nouvelle réforme fiscale des entreprises, poétiquement baptisée «PF 17», et le financement de l’AVS. Autrement dit la carpe et le lapin, ou plutôt la chèvre libérale et le chou rouge.

Cet étonnant tour de passe-passe s’est négocié et concrétisé en juin au Conseil des Etats. Il est le résultat de deux échecs traumatisants en votations populaires: celui de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), et celui de Prévoyance vieillesse 2020. C’est le triste sort de l’élu suisse: être régulièrement contraint à sortir sa trousse de bricolage pour pallier aux impasses où les caprices d’un peuple d’autant plus souverain qu’il n’en fait qu’à sa tête, ont conduit le pays.

Le calvaire de nos décideurs ne s’arrête pas là. C’est dans une véritable et méchante tenaille qu’ils se retrouvent coincés, à peine des descendus des cimes vertigineuses ou remontés des plages brûlantes où ils avaient tenté d’oublier un instant leur noir destin. Mordus par le peuple, ils se voient sur l’autre fesse pincés par l’Union européenne.

Résultat des courses: dans la précipitation il faut moderniser la fiscalité des entreprises, sous peine de courroux bruxellois, mais sans fâcher un populo qui n’a jamais vraiment su goûter à leur juste valeur les cadeaux faits aux entreprises, et donc y assortir un sérieux susucre pour adoucir l’amère potion.

La nature du susucre en question n’a pas été simple à établir. Il a fallu phosphorer sec.  Le Conseil fédéral avait d’abord pensé à un relèvement du seuil des allocations familiales. D’autres, suivant, sans raison mais avec Rime, l’avis de l’Union suisse des arts et métiers, proposaient plutôt un relèvement du taux de TVA. C’est finalement le renflouement de l’AVS, proposé par un attelage sociolo-PDC qui a convaincu le Conseil des Etats.

Le raisonnement, suivant d’où on l’examine, pourrait être qualifié d’audacieux ou de simpliste. Pour que le votant folâtre comprenne bien la nature du deal, on lui expliquera qu’à chaque franc d’impôt offert  aux entreprises, on en consacrera un à nourrir le fond AVS. Comment? Pardi en augmentant les cotisations. Ce qui revient un peu à faire financer le susucre par le chien.

Mais aussi en faisant le pari qu’à terme la réforme fiscale, en soulageant les entreprises, leur offrira un nouvel élan, et donc que le produit de l’impôt finira par augmenter. Bref d’un côté la banale ponction de gauche et de l’autre la toute aussi banale foi du charbonnier libéral.

Un drôle de pastis donc. De joyeuse humeur, on se félicitera que la tenaille constituée par la démocratie directe et le fait de n’être pas membre de l’UE tout en voulant l’être un peu quand même, oblige nos politiciens à faire preuve d’inventivité, d’audace et d’imagination.

Rendu grincheux par la canicule et la fin des vacances, on pestera contre cette même tenaille qui oblige à faire ultra compliqué, là où les autres, ceux qui n’ont pas la chance inouïe d’être suisses, se contentent de faire méga simple.

Quand bien même le Conseil national confirmerait la nature de ce compliqué colis, l’affaire serait loin d’être jouée, avec la perspective d’un référendum. On connait trop le sort habituellement réservé aux colis fiscaux et aux tartes à la crème: le retour à l’envoyeur.