Je n’ai pas testé les briquets Bic qui favorisent le libertinage. Mais à Bâle, un responsable de Manor m’a expliqué pourquoi il encourage la drague dans son supermarché.
Si vous avez l’habitude d’allumer vos cigarettes avec un briquet Bic, choisissez-le bien. Cet objet est un moyen d’expression. Sa couleur peut révéler vos sentiments les plus intimes.
Selon la nouvelle pub de Bic, l’usage d’un briquet noir signale que vous avez le cœur brisé. Briquet orange? Vous voyez dans le libertinage une délicieuse manière de vous épanouir.
Le briquet blanc, poursuit le «bictionnaire», indique que vous cherchez le grand amour, sinon rien. Briquet vert? D’accord pour l’aventure. Seuls les briquets bleus annoncent que votre cœur est déjà pris.

Ainsi va la nouvelle campagne de Bic, qu’on peut découvrir ces jours-ci dans la presse française. L’idée de favoriser les rencontres à l’aide d’un accessoire ne date pourtant pas d’hier.
La communauté gay américaine avait codé les couleurs des mouchoirs dépassant de la poche; les Japonais avaient inventé le «Lovegetty», un badge électronique clignotant à l’approche d’un individu compatible; la marque zurichoise Skim.com tatoue des numéros sur ses vêtements pour favoriser les contacts…. Bref, tous les moyens semblent bons pour permettre aux solitaires de faire des rencontres.
Otto Berchem, lui, transforme les supermarchés en lieux de rendez-vous galants. C’est à Bâle que j’ai découvert son travail, à l’occasion de la foire internationale d’art contemporain.
Lundi 18 juin 2001. Je me balade entre les stands d’Art Basel quand mon regard est attiré par une pile de paniers jaunes ornés de grandes fleurs à la galerie «Ellen de Bruijne Projects».
A côté des paniers, le visiteur est invité à se servir d’un document. «Vous êtes célibataire? Vous manquez de temps pour faire de nouvelles rencontres? Saisissez votre chance de rencontrer quelqu’un en faisant votre shopping. Prendre un panier à fleurs, c’est signaler que vous êtes disponible et que souhaitez un rendez-vous!»
Baptisé «The Dating Market», l’intervention d’Otto Berchem vise à faciliter le phénomène de «supermarket love».
Intriguée, j’interroge Ellen de Bruijne, la galeriste. Elle m’apprend que l’expérience a déjà été menée dans le magasin Lindeman à Amsterdam. Prévue initialement pour quatre semaines, elle a été prolongée durant quatre mois! Ellen de Bruijne ouvre son «pressbook» et me traduit les titres des nombreux articles qui ont couvert l’événement.

En débarquant à Bâle, la galeriste hollandaise souhaitait récidiver. Elle m’explique qu’elle s’est approchée de Migros et de Coop, qui ont refusé de se prêter à ce petit jeu, alors que Manor lui a ouvert sans hésiter ses portes. «Mais allez regarder ce qui se passe en ce moment au Manor de la Greifengasse, c’est à dix minutes à pied!», me conseille-t-elle. J’y fonce.
Dans un contexte plus approprié, j’y retrouve les paniers jaunes à fleurs. Extrêmement bien placés, en face de l’escalier roulant, ils sont surmontés de banderoles d’Art Basel. A leurs côtés, des feuilles volantes expliquent la démarche de l’artiste. J’observe les réactions.
Pressés, stressés, plusieurs clients se saisissent tête baissée de ces curieux paniers. Un père de famille, après lecture du flyer, repose l’objet en souriant tout en faisant partager sa découverte à ses deux enfants. Un jeune couple éclate de rire. Elle et lui prennent un panier et s’éloignent en s’épiant.
Au hasard, j’aborde quelques détenteurs de l’objet séducteur: «Savez-vous ce que signifie le panier que vous portez?» Beaucoup n’en ont pas la moindre idée. Il est vrai que nous sommes lundi, il est 17h45, l’heure est au réapprovisionnement des frigos et pas vraiment à l’épanchement des cœurs.
Simone, une caissière alsacienne, m’a repérée. «Vous venez voir si on fait des touches chez nous?» Profitant d’un creux de vague de la clientèle, elle me confie: «L’autre jour, une dame de 70 ans a reposé son panier, comme s’il était devenu soudain brûlant, lorsqu’elle a appris de quoi il s’agissait.»
Elle en a vu défiler, des paniers à fleurs, Simone! Leur succès? C’est qu’ils sont plus jolis, plus agréables aussi avec leurs deux anses. Et puis, qui sait, le bonheur est peut-être dans le panier! Aujourd’hui, un monsieur arrivé à sa caisse sans rendez-vous a demandé à Simone si elle était célibataire…
«Ça change de la routine, c’est sympa», lance Valérie, une autre caissière.
Une femme dans la quarantaine s’approche de moi. Elle souhaite acheter ce panier qu’elle trouve très «seventies». Je lui explique qu’une galerie les vend 650 francs suisses à la foire de l’art toute proche. Elle croit à une plaisanterie. Impossible de la convaincre qu’il s’agit d’une œuvre d’art.
Arrive le vice-directeur du magasin, Nicolas Probst, que j’avais sollicité. «Vous auriez dû voir samedi le nombre de jeunes gens que cela a attiré!» De toute évidence, le personnage est séduit par l’opération de charme qui se déroule dans sa succursale. Il précise qu’elle ne s’arrêtera pas ce soir comme prévu. Il souhaite jouer les prolongations et s’arrangera avec l’artiste.
«Aucune remarque négative ne m’est parvenue à ce sujet, bien au contraire. Mes collaborateurs apprécient beaucoup. D’ailleurs, certains d’entre eux ont obtenu personnellement des rendez-vous! Je trouve très «tendance» d’abriter une telle démarche dans nos rayons.»
En véritable ethnologue, Nicolas Probst m’explique que le supermarché reste un endroit propice aux rencontres. Qui, si ce n’est un célibataire, achète un demi litre de lait? Facile donc à repérer. Facile aussi de nouer des contacts: «Si vous apercevez un magret de canard dans un caddy, rien de plus simple que d’aborder la personne en question en lui demandant avec quelle sauce elle va l’apprêter.»
Non, Otto Berchem n’a pas inventé la drague au supermarché. Il vient juste donner un petit coup de pouce à un comportement jusqu’ici moins ostentatoire.
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Après Bâle, dès octobre, c’est à New York qu’il sera possible de faire du «Dating Market». La galerie Apax Art se charge de trouver le supermarché qui tiendra lieu d’agence matrimoniale.