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Melgar l’embarrassant

Les démêlés du cinéaste avec ses anciens amis mettent en évidence crûment le petit côté inquisitorial de l’époque. La chasse aux pécheurs est rouverte.

Elle a tout pour plaire et durer, cette affaire Melgar. Voilà un homme qui d’un seul coup passe du camp des gentils à celui des méchants. Le trajet inverse est évidemment mieux toléré. Dans les médias comme dans les confessionnaux. Et comme jadis au tribunal de l’Inquisition.

Surtout à une époque où la dictature du bien a cessé d’être un oxymore. Où jamais les gentils n’ont été aussi impitoyables. Où le bien se définit désormais par une série de thèmes, de situations et de groupes de personnes rigidement oblitérés. C’est par principe qu’il faut défendre les migrants, selon la même loi marmoréenne, tombée d’on ne sait quel ciel, vous obligeant, en toute circonstances, à détester Trump et vous pâmer devant le premier Trudeau venu. La liste des obligations est longue mais toujours tracée le long d’une frontière définitive. Celle qui sépare l’enfer du paradis et le noir du blanc.

Cette morale dure comme la pierre ne supporte pas les à-peu-près, les chemins de traverse, les nuances, les gris dégradés, bref la réalité dans sa troublante contradiction. Ainsi les élèves de l’école d’art qui ne supportent pas l’idée que Melgar, cinéaste justement reconnu, puisse venir leur dispenser des cours. Pour un seul, unique et bien peu artistique prétexte: avoir dénoncé les agissements des dealers africains sévissant dans les rues lausannoises.

Ce faisant, Melgar aurait agi «sans égard pour toute loi ou éthique» et même en utilisant «des méthodes inacceptables de façon aléatoire et illégale». C’est ce que proclament, offusqués jusqu’à l’étranglement, les signataires de la lettre ouverte à Melgar publiée dans la presse. Sans voir que les mêmes mots exactement pourraient être utilisés pour décrire les faits et gestes des revendeurs du quartier de Chauderon.

C’est ainsi: il y aurait une éthique plus morale qu’une autre, des lois plus inviolables que d’autres. L’illégalité consistant à filmer des dealers en action seraient plus illégale que l’illégalité consistant à dealer. Pour une raison aveuglante: les dealers en question étant des requérants d’asile, ils appartiennent, par définition, à jamais et pour toujours, au camp des hommes de bien.

Tel est le catéchisme, le rude évangile à l’œuvre dans cette affaire. Si rude que quiconque s’en écarte, à la Melgar, se verra accuser, comme le cinéaste l’a été par un étudiant, de «puer». On en est là: celui qui ne pense pas comme moi, c’est simple, il pue. Celui qui ne pense pas comme moi, c’est simple, il ne mangera pas. Melgar ne donnera pas de cours à la HEAD.

Tous, par bonheur, ne succombent pas aux dérives d’une bien-pensance devenue folle. Parmi les avalanches de réactions, c’est bien un homme de gauche qui a sans doute le mieux résumé le côté navrant de cette affaire. Ancien maire écologiste de Genève, ancien rédacteur en chef du Courrier, journal pas tout à fait anti-migrants, Patrice Mugny rappelle dans la Tribune de Genève des évidences qu’il est inquiétant de devoir rappeler: «Oui, nous avons le droit de défendre les droits des requérants d’asile, des sans-papiers, des laissés-pour-compte de notre société d’opulence partielle et de dénoncer les attitudes déplaisantes, voire pires, de gens issus des milieux que nous défendons…les pauvres ne sont pas tous gentils et/ou victimes».

Voilà une vérité sans doute trop compliquée pour des têtes remplies surtout d’elles-mêmes. Comme disait le bon, le gentil Rousseau: «il faut avouer qu’en effet et dans ce monde et dans l’autre les méchants sont toujours bien embarrassants».