TECHNOPHILE

Des homards et des hommes

Mettre fin à des expérimentations animales dans la recherche empêcherait le développement de traitements contre des maladies génétiques graves et nuirait à l’écosystème des biotechnologies.

Récemment, le Conseil fédéral a pris une décision surprenante. Il a interdit le transport vivant sur de la glace ou dans de l’eau glacée des décapodes ainsi que leur ébouillantage pour le bien des homards et autres écrevisses. A l’exception des «grandes toques» de notre pays, cette décision a plutôt fait sourire, y compris à l’étranger. En fait, elle est problématique car elle donne gain de cause aux extrémistes de la cause animale et les encourage à poursuivre leur combat.

Démocratie directe oblige, la problématique de l’expérimentation animale est régulièrement soumise au peuple suisse, les fanatiques de la cause animale ne relâchant jamais la pression. Ainsi une nouvelle initiative intitulée «Oui à l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine» récolte des signatures avec un délai imparti au 3 avril 2019. Pourtant, le peuple suisse a déjà repoussé deux initiatives liées à l’expérimentation animale.  La première, en 1993, voulait interdire toutes expériences sur les animaux.  Malgré cette défaite, elle fut suivie en 1998 par celle voulant interdire la production d’animaux génétiquement modifiés. Cette deuxième tentative fut également rejetée grâce à l’importante mobilisation des scientifiques de ce pays, en particulier des jeunes. L’initiative en cours de récolte de signatures est encore plus extrémiste puisqu’elle interdirait aussi bien l’expérimentation animale qu’humaine.

L’importance de l’expérimentation animale vient d’être illustrée par l’acquisition par Novartis d’Avexis, une start-up ayant développé une thérapie génique pour l’atrophie spinale infantile. Cette maladie génétique qui touche les nouveau-nés est caractérisée par une perte des motoneurones, les cellules nerveuses qui innervent les muscles, perte conduisant à une paralysie progressive de tous les muscles et au décès par asphyxie de l’enfant, dans la première année de vie. Elle est le résultat d’une mutation d’un gène qui conduit à la perte des motoneurones. Les scientifiques de cette start-up ont développé des virus capables d’infecter les cellules nerveuses affectées et d’y exprimer le bon gène. Les enfants ainsi traités sont non seulement en vie mais jouissent d’une mobilité quasi normale.

Cette extraordinaire victoire contre cette terrible maladie est le résultat de plus de deux décennies de recherches intensives, suite à la découverte en 1995 du gène responsable. C’est grâce à des souris transgéniques reproduisant fidèlement la maladie humaine qu’a pu être testé l’efficacité de l’injection intraveineuse de virus, qui font dans ce cas office de navette pour apporter le bon gène dans les cellules nerveuses affectées. Ces virus ont été ensuite testés dans des singes pour montrer qu’ils étaient sûrs et capables d’infecter les neurones de primates non-humains. Cette percée thérapeutique pour l’amyotrophie spinale n’aurait pas été possible sans recours à l’expérimentation animale. Les expériences ont cependant été conduites dans le cadre strict qui réglemente ces dernières.

Les résultats d’Avexis donnent un fantastique espoir aux patients souffrant de maladies génétiques débilitantes. L’acceptation de la nouvelle initiative contre l’expérimentation animale et humaine aurait des conséquences désastreuses pour la Suisse. Les start-up de biotechnologie et compagnies pharmaceutiques délocaliseraient leurs activités avec un impact important sur notre économie. Plus problématique encore, elle prétériterait gravement les patients dans l’attente de traitements curatifs. Il est donc urgent de la contrer. Quant au homard, j’en mangerai des frais en Bretagne!

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la NZZ am Sonntag. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.