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L’épouvantail universel

Qui a peur du grand méchant roux? La venue de Donald Trump au Forum économique de Davos gêne surtout ceux qui ont du mal avec l’altérité et les idées qui ne sont pas les leurs.  

Alain Berset a dû le préciser: c’est «volontiers» qu’il rencontrera Donald Trump à Davos. Comme si cela n’allait pas de soi. Comme si ce n’était pas le président des États-Unis qui s’apprêtait à honorer la station grisonne de sa visite, mais un pestiféré, un galeux, un gangster des derniers étages.

Le président de la Confédération s’est même cru obligé de signaler qu’il pouvait y avoir éventuellement quelques utilités à serrer la pogne du grand méchant roux: «la Suisse et les Etats-Unis entretiennent depuis longtemps des relations intenses à différents niveaux. De nombreux thèmes pourraient être discutés, tant au niveau bilatéral qu’international.» Langue de bois massif pour une évidence qui devrait aller sans dire et qui n’est d’ailleurs jamais dite lorsqu’il s’agit d’échanger avec n’importe quel chef d’état, même un peu dictateur sur les bords.

C’est sans doute que Trump est bien plus qu’un dirigeant: carrément un épouvantail universel, le croquemitaine majuscule, capable de faire enrager toutes les latitudes et qui ratisse très large contre lui. En gros de l’extrême-gauche à la droite modérée. Ce qui à l’échelle de la planète fait quand même du monde.

En Suisse, il n’en va guère autrement. Personne bien sûr ne s’étonnera que l’inénarrable Tamara Funiciello, présidente des Jeunes socialistes, considère la visite de Trump au Forum économique mondial de Davos comme un «vrai désastre». Les Jeunes UDC à cette occasion ont montré qu’ils étaient à niveau, et ne savaient répondre au sectarisme de gauche que par des grossièretés fleurant la haine brune, en traitant Funiciello de «grosse vache». On notera au passage que chez nos jeunes patriotes de souche, au pays de Heidi, de la désalpe, des poyas et des combats de reines, le mot «vache» est devenu une insulte. On en déduirait presque que les jeunes UDC sont en train de s’urbaniser et de se boboïser dangereusement.

C’est tout le côté fascinant de Trump-le-fou qui semble être doté du pouvoir magique de faire sortir chacun de ses petits gonds policés et de révéler ainsi les natures profondes. Le concernant, même les réactions plus modérées ne le sont pas tellement. On se montre certes moins catégorique, on cache mieux son dégoût, mais c’est avec des pincettes et des longues cuillères que l’on envisage d’accueillir le locataire de la Maison-Blanche.

Ainsi le président du PS Christian Levrat justifie-il une éventuelle rencontre avec Trump en disant que le Conseil fédéral reçoit bien les représentants d’États comme la Turquie, la Chine ou la Russie. Au panier, le statut de Trump de président élu d’une vieille démocratie, voici Donald placé au niveau des satrapes tout-puissants de régimes autoritaires.

On pourra dire comme le PDC Claude Béglé que Trump l’a bien cherché. Mais on pourrait aussi juger qu’il s’agit là d’une conception bien restrictive de la démocratie: est démocrate et donc respectable non pas celui qui a été démocratiquement élu mais uniquement celui qui pense et parle exactement comme nous sur tous les sujets.

Dans ce contexte aride, ne reste à peu près plus qu’une seule raison que nous pousse à consentir à un semblant d’échange avec l’infréquentable milliardaire: les gros sous. La présidente de la Commission des affaires étrangères, la PDC Elisabeth Schneider-Schneiter estime ainsi qu’il pourrait être avantageux que nos ministres des finances et de l’économie puissent s’entretenir avec Trump. Le protectionnisme voulu par le nouveau président des Etats-Unis n’est pas bon pour nos entreprises à nous, et la réforme fiscale américaine pourrait aussi avoir des effets désagréables pour la Suisse. Car sur ce sujet-là au moins nous pensons exactement comme l’odieux Donald: «Switzerland first».