GLOCAL

Un mauvais conte de fée

Dans les relations bilatérales, Bruxelles parait désormais prendre la Suisse de très haut. Simple effet d’un rapport de force évident?

«Juste quelques malentendus». C’est ainsi, pour mieux la relativiser, que l’Union européenne, par la voix de son ambassadeur en Suisse Michael Matthiessen, qualifie la dégradation des relations entre Bruxelles et la Confédération. Le son de cloche pourtant est tout autre du côté du Conseil fédéral, qui agite son toupin en mode glas pour dénoncer des «manœuvres discriminantes». La presse alémanique ajoute quelques couches funèbres en parlant de «mauvais film» ou même de «torture», tandis qu’Henri Gétaz, qui dirige au DFAE la Direction des Affaires européennes, diagnostique «une impasse bilatérale». Diable et diantre, se dit-on à ce stade, qu’est-ce qui peut rendre l’UE si détachée et la Suisse si alarmée?

Certes, chacun garde en tête la série de petites vexations que l’Union vient d’infliger à la Suisse: placement sur la liste grise des paradis fiscaux, restriction à une année du statut d’équivalence boursière, accélération du calendrier pour arriver au fameux accord institutionnel que Jean-Claude Juncker semble désormais exiger pour ce printemps déjà.

De là pourtant à parler de torture, d’impasse, de discrimination… L’inquiétude paraît un poil surjouée, surtout quand la partie adverse n’y voit, elle, que d’infimes malentendus. Cela révèle en tout cas crûment que, dans ces relations bilatérales, un partenaire, en l’occurrence la Suisse, est devenu nettement plus nerveux que l’autre.

Ce qui, après tout, se comprend: à force de balades solitaires en forêt, le petit chaperon rouge à croix blanche finit par avoir peur. A se dire que cette mère-grand européenne, qui paraissait au premier abord si compréhensive, a tout de même de fort grandes dents.

Sûr de sa force, le loup, si loup il y a, n’aurait lui aucune raison de perdre son calme face une petite fille peut-être bien insolente mais certainement inoffensive. Il pourra donc, comme Michael Matthiessen, vanter «des rencontres positives», certifier l’existence d’une «dynamique», et même se moquer pas trop gentiment des pleurnicheries enfantines. Ainsi, à propos de la liste grise: «Je suis étonné que la Suisse soit surprise». Ce doit être de l’humour danois.

Côté suisse, le malaise irait même au-delà de la peur. Lors des Entretiens de Verbier il y a quelques jours, un chef de cabinet de l’ancien président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a même qualifié de «psychiatrique» la façon dont la Suisse envisageait ses liens avec l’UE. Une Suisse qui exagérerait tout à la fois la volonté de domination de l’UE et les avantages de sa propre souveraineté nationale, par rapport notamment à un hypothétique statut de partenaire influent au sein du club.

Tout cela n’est pas complètement faux. Mais qui pourrait sans vergogne reprocher au petit chaperon rouge de ne pas croire spontanément et sur parole les déclarations de bonne volonté du loup? La présence hargneuse en coulisse des chasseurs de l’UDC, qui ont juré d’avoir la peau de la bête européenne, n’aide pas non plus à fluidifier le dialogue.

Plusieurs explications sont avancées à cette relative sérénité de Bruxelles, qui n’hésite plus désormais à prendre Berne de haut. L’Union se serait avantageusement fait les biscoteaux dans des négociations sur le Brexit qui semblent tourner à son avantage, la Suisse ne lui apparaissant plus que comme une très comestible piece of cake. Et puis, une croissance retrouvée et la baisse du chômage ont peut-être enlevé un peu de la très légère mauvaise conscience que pouvait avoir une Union boiteuse à embêter l’exemplaire bon élève suisse.

Peu importe finalement toutes ces hypothèses. La vérité, c’est qu’il n’y a guère que dans les contes de fée, et encore pas toujours, que le petit chaperon rouge s’en sort vivant.