LATITUDES

Donner de la vie aux années

Une meilleure compréhension du processus du vieillissement liée aux techniques d’édition génétique pourrait augmenter l’espérance de vie de manière importante durant ce siècle déjà.

Ces jours, la lecture des journaux me donne l’impression que la Suisse souffre de «digitalite», une maladie infectieuse qui semble avoir affecté nos politiciens. Les trains spéciaux, les meetings et forum divers nous rappellent que la révolution digitale est en route. La Suisse a effectivement été lente à anticiper les fulgurants progrès des sciences de l’information et l’arrivée de la 4ème révolution industrielle qui leur est liée. Il est donc grand temps d’agir.

Une 5ème révolution est cependant en préparation. Elle est basée sur les importants progrès dans la compréhension des mécanismes moléculaires du vieillissement. Récemment, des chercheurs ont identifié des substances naturelles qui augmentent de plus de 50% l’espérance de vie du petit vers de laboratoire communément appelé Caenorhabditis elegans. Lorsque administrées à des souris âgées, ces dernières retrouvent leur vigueur musculaire.

Ces molécules stimulent des organelles de nos cellules appelées mitochondries qui produisent l’énergie dont nos cellules ont besoin. Elles transforment également nos cellules souches tissulaires vieillissantes en cellules souches jeunes capable de produire du muscle nouveau chez une souris âgée. Les mêmes observations de revitalisation des cellules souches ont été faites dans des structures du cerveau lié à la mémoire. Des essais cliniques chez l’homme sont en cours.

Parallèlement, les progrès fulgurants de la génétique, en particulier ceux de l’édition génétique, permettent d’intervenir aisément sur notre génome. La meilleure compréhension des gènes liés au vieillissement pourrait théoriquement prolonger l’espérance de la race humaine en manipulant son génome. Il y a tout lieu de penser que notre espérance de vie dépassera significativement les 100 ans, ce siècle déjà.

De façon complémentaire, les progrès de l’ingénierie, en particulier ceux de la science des matériaux, de la robotique et de l’informatique, ont conduit au développement de prothèses pour un grand nombre d’organes tels que les articulations, le système auditif ou le cœur avec les valves cardiaques, les pace-makers ou les stents. Ces pièces de rechange du corps humain permettent d’améliorer significativement la qualité de vie pour de nombreuses affections liées à l’âge telles que l’arthrose.

Les nouvelles fortunes californiennes construites sur le développement des sociétés de la révolution digitale tels que les Google, Amazon, Microsoft, Apple ou Facebook investissent des sommes importantes dans des start-up dont le but est d’augmenter l’espérance de vie de l’humain et même d’en augmenter ses capacités. La Silicon Valley rêve de nous rendre plus performants et éternels!

Si la 4ème révolution nous prive de travail et la 5ème augmente notre espérance de vie, le temps risque de devenir long. Et comme l’a si bien dit Woody Allen: «L’éternité c’est long, surtout sur la fin». L’homme qui a vécu principalement sur trois générations devra apprendre à vivre sur plus de cinq générations. En cette période de fêtes de fin d’année, je n’ose pas imaginer la tournée des grands-parents, des arrières grands-parents, des arrières-arrières grands-parents…

La science et la technologie vont permettre de donner des années à la vie. Il faudra cependant que nous nous préoccupions également de donner de la vie aux années. La révolution digitale devra donc aussi s’enquérir de nourrir nos cerveaux en développant du contenu. Aussi paradoxal que cela puisse paraisse, le futur appartient aux sciences humaines et sociales. Ce sera pour la 6ème révolution!

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la NZZ am Sonntag. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.