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Santé, conservation

La tentation d’Alain Berset et du Conseil fédéral de plafonner la consommation médicale fait l’unanimité de tous les acteurs contre elle. Faut-il vraiment chercher ailleurs la fatalité des hausses de primes?

Ne s’étonner de rien. Surtout pas des augmentations brutales et fatales des primes d’assurance maladie. Ces gifles qui apparaissent aussi mécaniques et annuelles que la chute des feuilles, aussi implacables que le retour à l’heure d’hiver. Non, ne pas s’étonner car l’explication en est toute simple, ce qui ne l’empêche pas, elle aussi, de relever d’une pure fatalité: la santé, tout le monde adore ça.

Comment expliquer sinon la réaction outrée de tous les acteurs de la santé – les médecins, les caisses, l’industrie pharmaceutique mais aussi les patients – face à une modeste tentation du Conseil fédéral, s’appuyant sur un rapport d’experts internationaux: introduire des plafonds contraignants sur le volume des prestations dans l’assurance de base. Par exemple en réduisant le tarif d’une prestation dès qu’un certain volume est atteint.

Tollé général, donc: «Une mauvaise idée» jugent ainsi, copains comme cochons sur le coup, aussi bien la FMH, l’association des Hôpitaux H+, Pharmasuisse, Interpharma, l’organisation suisse des patients et Santésuisse. Ne manquent que les chats et les chiens et leurs vétérinaires.

Certes les reproches adressés au système restrictif et plafonné dit des «budgets globaux» ne peuvent être balayés d’un simple revers de bistouri: il générerait d’important délais d’attente, déboucherait sur un rationnement des prestations et accélèrerait la vilaine tendance d’une médecine à deux vitesses. Bref contreviendrait à l’esprit même de la LAMal.

N’empêche, le constat est largement admis: aucun des acteurs de la santé ne se sentant responsable des hausses et préférant accuser les autres, la machine infernale tourne à plein régime, sans frein ni conscience. Des acteurs qui jusqu’ici, comme le résume dans le Temps Brigitte Rorive, directrice des finances des HUG, «sont tentés de maximiser leurs profits et de défendre leurs intérêts particuliers. Il y a très peu d’incitants pour évoluer vers un système vertueux.»

D’autant que la santé, surtout dans des sociétés hédonistes et prudentes comme les nôtres, s’identifie à la vertu même. Difficile de contester la volonté d’un patient d’être soigné au mieux, quitte à multiplier les consultations et examens redondants. Difficile aussi de fustiger un médecin ou un hôpital désireux de faire le maximum, quitte à en faire trop, pour le bien de leurs patients.

On comprend donc que la simple idée d’un plafonnement de la consommation médicale remboursée hérisse plus d’un poil. Avant même que l’on sache s’il s’agirait plutôt de s’attaquer au volume des actes médicaux ou à leur pertinence – avec par exemple la possibilité pour les assureurs de ne pas rembourser les prestations médicalement injustifiées. Peu importe dans le fond: c’est le concept même de restriction qui heurte.

Si le système, dont tout le monde déplore l’aspect incontrôlable, ne semble pas réformable, alors que tout le monde en appelle au changement, c’est que chacun veut la réforme, mais pas pour lui. Chacun préconise la grande lessive, mais pas pour son linge sale personnel. Les patients ne veulent pas consommer de façon plus restrictive ou simplement plus rationnelle, les médecins ne veulent pas être minutés ni contrôlés, les caisses prétendent ne pas gagner d’argent avec la LAMal et ne faire que répercuter les coûts engendrés par des patients décidément trop souvent malades et des médecins trop gourmands.

La santé, c’est évident, pousse chacun au conservatisme et à la défense forcenée de son joli pré carré.