LATITUDES

La Suisse romande et son prix Nobel

Le vaudois Jacques Dubochet, qui vient de recevoir le prix Nobel de chimie, incarne une Suisse occidentale ambitieuse. Et il est la preuve que l’investissement dans la recherche fondamentale est payant.

Avec l’automne vient la saison des prix Nobel. Début septembre, la presse fait ses pronostics sur les papables suisses pour ce sésame de la science. La Suisse s’enorgueillit d’en compter une trentaine depuis sa création en 1901. Ceux-ci se sont surtout distingués dans les domaines de la physique, de la chimie et de la médecine. Cependant, depuis le Nobel de chimie décerné à Kurt Wüthrich en 2002, plus rien. A se demander si la Suisse avait perdu la baraka. La surprise est arrivée le 4 octobre dernier: le prix Nobel de chimie 2017 est attribué à Jacques Dubochet, vaudois de pure souche, ainsi qu’à deux collègues américain et anglais pour la découverte d’une technique appelée la cryo-microscopie électronique, permettant de voir le vivant comme jamais auparavant.

Cette nouvelle est réjouissante pour de multiples raisons. Jacques Dubochet est un merveilleux ambassadeur de la science suisse. C’est un prix Nobel home-made. Il a en effet obtenu son diplôme de physique à l’EPUL, l’EPFL de l’époque, sa thèse en biophysique à l’Université de Genève et a passé la majeure partie de sa carrière académique dans le département de biologie de l’Université de Lausanne. Le plus grand mérite revient donc à cette dernière qui l’a hébergé et soutenu financièrement durant la majeure partie de sa carrière académique. Une part du mérite revient également au Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNRS), cette institution ayant soutenu depuis plus de 60 ans la recherche fondamentale, dont celle de Jacques Dubochet. N’oublions pas que sans soutien pour la recherche fondamentale, la Suisse ne serait pas aussi performante dans les classements mondiaux de l’innovation.

Il est réjouissant de constater que la présidente de la Confédération ainsi que plusieurs conseillers fédéraux et politiciens proéminents se sont empressés de féliciter le lauréat. Ces messages vont cependant à l’encontre des récentes propositions de l’administration fédérale des finances de faire des coupures dans les budgets pour la recherche. Il faut espérer que nos parlementaires fédéraux les refuseront en bloc. Le soutien de la recherche fondamentale et de la formation, une tâche régalienne de l’Etat, constitue en effet un des éléments clés de la prospérité suisse.

Autre élément de satisfaction pour l’octroi de ce prix Nobel de chimie: la personnalité de Jacques Dubochet, qui communique avec un si bel enthousiasme son amour pour la science. Son curriculum vitae est un morceau d’anthologie. Il s’y déclare «premier dyslexique officiel du canton de Vaud», ce qui lui permettra «d’être mauvais en tout et de comprendre les personnes en difficulté».  Le soir de l’annonce de son prix, il a participé, comme si de rien n’était, à la réunion du conseil communal de Morges dans lequel il siège. On n’aurait pas pu imaginer une plus belle personnalité pour illustrer une science généreuse et engagée.

Finalement, ce prix vient comme une cerise sur le gâteau pour l’Arc lémanique. Son récent développement académique et économique est le reflet d’une prise de conscience que la Suisse occidentale doit plus compter sur elle-même et montrer au pays qu’elle n’est pas la «Grèce de la Suisse».  J’ai été ravi d’entendre la rectrice de l’Université de Lausanne déclarer le jour même de l’annonce qu’elle espérait que ce ne serait pas le dernier prix Nobel pour son institution. Une Suisse occidentale ambitieuse et performante est une excellente nouvelle pour notre pays. Merci, Jacques, d’y avoir contribué.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la NZZ am Sonntag. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.