Cette semaine, c’est dans les pages «fashion» du Herald Tribune qu’on découvre les détails les plus fascinants de l’affaire Elf. Un vrai guide de shopping de luxe.
Les défilés couture ont envahi Paris, et comme chaque année, c’est dans le Herald Tribune qu’on en trouve les descriptions les plus inspirées – sous la plume de la redoutable Suzy Menkes, chroniqueuse impératrice des tendances.
Dans son édition de mardi, le quotidien décryptait donc les collections parisiennes sur une double page panoramique, consacrant quelques photos légendées au smoking en fourrure Thierry Mugler, à la perruque en fourrure Paco Rabanne et surtout à l’imperméable en fourrure du «king of cool» Marc Jacobs pour Vuitton – manière subtile d’indiquer aux lectrices et lecteurs que l’époque est bien révolue où les top creatures préféraient défiler à poil qu’emballées dans des pelisses d’origine animale.
Cette chronique monumentale de Suzy Menkes – imprimée sur six colonnes et titrée «La sensualité est la clé d’un flirt ludique avec l’érotisme Belle Epoque» – n’était pourtant pas l’élément fort de la double page de mardi. L’attention du lecteur était irrésistiblement attirée par un article plus discret intitulé «The Gang That Accessorized» et consacré à l’un des couples les plus fashion de la capitale: Christine Deviers-Joncour et Roland Dumas.
Fashion? On sait que les ex-amants nourrissaient une véritable passion pour les produits hors de prix. L’enthousiasme avec lequel ils achetaient des accessoires de luxe suffit à les placer parmi les personnalités «hype» qui dictent les tendances sans même s’en apercevoir. Pas étonnant que le Herald Tribune ait placé cet article en page «mode».
Le procès Elf, réouvert lundi en présence d’Alfred Sirven, a permis de définir avec précision dans quelles boutiques et quels restaurants le ministre des Affaires étrangères, accompagné de celle qui s’autoproclame «putain de la République», avait coutume de faire claquer la goldcard de la compagnie pétrolière. L’article du Herald retrace leur parcours de shopping en mentionnant autant que possible les adresses des endroits visités (du Faubourg St-Honoré à l’Avenue Montaigne avec quelques petits détours par la place Vendôme).
Au passage, on découvre aussi les habitudes de Loïk le Floch-Prigent et Alfred Sirven, respectivement numéros 1 et 2 du généreux pétrolier au début des années 90. A l’époque, le restaurant italien Stresa, les fauteuils du St-James Club, la pergola du Ritz, le bar du Plaza Athénée et évidemment Le Pichet, rue Pierre Charron, constituaient les étapes obligées de ce «gang de chez Elf» pour qui rien n’était trop cher ou trop clinquant.
Leurs cravates étaient achetées chez Lanvin, leurs tailleurs chez Valentino, leurs costumes chez Smalto et, comme on le sait, leurs agendas chez Hermès. L’article du Herald Tribune raconte aussi comment, un certain après-midi, d’anonymes clients de Cartier avaient été hypnotisés par la fièvre acheteuse d’un Alfred Sirven escorté de deux jeunes personnes: plusieurs montres, bagues, boucles d’oreille et colliers avaient été achetés d’une seule signature.
On se souvient de l’explication de Roland Dumas à propos de sa paire de bottines Berluti offerte par sa maîtresse: s’il les avait choisies, c’était moins par goût du luxe que parce qu’elles apaisaient ses douleurs à la hanche. Leur prix: 2000 dollars.
Face à une telle débauche de luxe, un tel parfum de scandale et une telle puissance de fascination, les couturiers ne peuvent tout simplement pas rivaliser. Le procès Elf est le défilé le plus «hot» du moment, décrète le journal américain. D’ailleurs, le tribunal où Dumas et Sirven comparaissent en ce moment même est situé à un jet de diamants du Carrousel du Louvre.
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L’excellent article du Herald Tribune est signé Joseph Fitchett.