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Le jour où Gainsbourg est mort pour la première fois

En 1981, Monsieur Serge mettait en scène sa propre mort dans le journal Libération. En 1991, il s’éteignait. Et aujourd’hui, en 2001…

Pour moi, Gainsbourg n’est pas mort le 2 mars 1991 mais dix ans plus tôt. En novembre 81, le grand provocateur avait mis en scène sa propre mort avec la complicité de Libération. J’étais tombée dans leur piège macabre.

A l’époque, j’habitais Paris, où le ciel est souvent bien gris en novembre. Ce matin-là, il s’est assombri davantage encore lorsque je me suis arrêtée devant ce petit kiosque de la rue de Boulainvilliers: «La mort de Gainsbourg», disait la manchette. La disparition de l’irremplaçable.

J’ai acheté le journal mais je n’ai pas voulu le lire tout de suite. Le cœur chaviré, j’ai emmené mes enfants à la maternelle et j’ai marché dans la ville. Bonjour à la statue de la Liberté (modèle réduit de celle de New York USA sur le pont de Grenelle) et promenade sur l’Allée des Cygnes au milieu de la Seine.

Comment lui dire adieu? J’ai tenté de fredonner «La chanson de Prévert» sur le sol jonché de feuilles. J’ai pensé à Jane, à Bambou, à Charlotte… Un métro est passé sur le pont Bir Hakeim. Pauvres poinçonneurs des Lilas!

La rue de Verneuil, à une petite demi heure d’ici? Non. Retour à l’appartement. J’ai ouvert Libé et j’ai découvert le canular sans éprouver le moindre soulagement. Désormais je le savais mortel. J’étais engagée dans un processus de deuil. Je comprenais que, comme dans «Sorry Angel», pour lui aussi, «le compte avait commencé – à rebours».

Mes parents l’adoraient, ses mélodies ont bercé mon enfance. Ses albums étaient devenus mes repères biographiques avant de devenir ceux de mes enfants. Ah, 69, une année si bien baptisée!

Depuis cette funeste date de novembre 81, je me suis mise à célébrer la sortie de ses disques comme autant de cadeaux inespérés. Jusqu’à ce 2 mars 1991 où, ayant déjà passé à travers les différentes étapes du deuil, j’ai appris sa disparition.

Dix ans plus tard, je retrouve ce numéro de Libé dont le principe était le suivant: Serge Gainbourg est mort, la rédaction communique avec son ectoplasme. De l’au-delà, il raconte quand, comment et pourquoi il est mort. Bref, il nous livre ses «Mémoires d’outre-tombe».

En voici quelques extraits.

Serge Gainsbourg. Bon, je suis mort. Je fais un bilan…

Libération. C’est déjà une appréciation.

S.G. Un mort avec la parole, il fait le bilan…De toute façon, je suis à côté de mon chien puisque je l’ai perdu, je l’ai donc retrouvé. Il est mort d’une cirrhose… (…)

Libération. Quand est-ce que ça s’est passé?

S.G. Il n’y a pas longtemps. C’est le cœur qui a lâché. Non, c’était plutôt une overdose de plomb (rire). (…)

Libération. On est en quelle année?

S.G. On est en… quatre-vingt… dix.

Libération. Comment ça s’est passé ?

S.G. Ça s’est passé en octobre. Un jour froid. Une nuit froide. La nuit c’est mieux, hein? Caniveau.

Libération. Tu peux décrire l’endroit où tu te trouves?

S.G. Je suis à l’intérieur de mon chien. Il y a des gaz. Des gaz inflammables. Alors, j’allume une allumette… (…)

Libération. Plus jeune tu y avais pensé à la mort ?

S.G. A ma première crise cardiaque (1973). A ce moment-là, j’ai décidé… J’ai dit: «Pour la vie, il n’y a pas d’antidote.» Avant, je n’y pensais jamais.

Libération. C’était quand même présent, dans tes chansons, ton comportement.

S.G. La mort est «toujours» présente, si on n’est pas con. (…)

Libération. Donc, on t’a enterré?

S.G. A moins qu’on m’ait filé quinze grenades et que je me retrouve dans l’état du Soldat inconnu. On ne sait même pas si c’est un soldat ou une vache, Ou un Boche. C’est un magma. Il y en a peut-être quinze… (…)

Libération. Est-ce qu’on a fait ton masque mortuaire, comme Pascal?

S.G. Ouais. Les mains aussi. Et la queue.

Libération. Dans du plâtre?

S.G. Non! Dans de l’élastomère de synthèse. C’est-à-dire du latex. Pour que celles qui m’ont aimé continuent à m’aimer. (…)

Liberation. Et la question capitale, la dernière: Comment ont réagi tes intestins?

S.G. Ils ont tout lâché!

Libération. On pourrait s’arrêter là-dessus; c’est beau. Allez, encore une pour risquer la culbute: tu es content de toi?

S.G. Ça dépend… Le facteur «con» est une chose. Le facteur «temps» en est une autre.

Libération. Ah la la! Ça va être dur de choisir comment en finir. Les deux chutes sont valables. Peut-être qu’on pourrait inverser : les intestins avant le con-temps?

S.G. Ouais. Les intestins. J’ai fait sur moi. D’autant que le verbe «faire» est primordial. On dit «Je fais dans la chanson», «je fais dans le cinéma», «je fais dans la photo», «je fais dans la poésie»… Mais qu’est-ce qu’on disait quand on était petit? «Maman, j’ai fait.»

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L’intégrale de cette interview, réalisée par Bayon pour Libération, a été republiée en 1992 par Grasset sous le titre «Serge Gainsbourg, mort ou vices».

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