LATITUDES

Le malaise de l’ascenseur et le divertissement selon Pascal

La touche de fermeture des portes est toujours la plus sollicitée. Faut-il dès lors injecter des news dans les ascenseurs pour nous faire patienter? C’est le match «Otis contre Blaise Pascal».

Les habitants des grandes villes sont affectés d’un nouveau malaise, certifient d’éminents psychologues américains. Ce malaise se manifeste avant même l’arrivée de l’ascenseur et prend une forme compulsive dès l’entrée dans la cabine.

Ses victimes appuient désespérément sur le bouton d’appel ou de fermeture des portes en espérant grappiller ainsi quelques secondes cruciales. Un douloureux sentiment de temps perdu s’emparerait de ceux qui, chaque jour, vont travailler dans les étages. Que faire? Le remède à cette impatience pourrait bien prendre la forme du service eDisplay mis au point par la compagnie américaine Otis.

Otis, numéro un mondial de l’industrie de l’ascenseur devant Schindler (Suisse) et Thyssen (Allemagne), premier transporteur «sans ticket» pour un milliard de passagers par jour dans le monde, est à l’origine de la plupart des innovations apparues dans le secteur de l’ascenseur. La plus récente vient d’être présentée à Paris, New York et Sydney. Il s’agit d’écrans installés à l’extérieur et à l’intérieur des cabines d’ascenseurs dans le but de distraire les usagers.

Les écrans eDisplay fournissent des informations sur l’actualité, la météo, le sport, les valeurs boursières et le trafic automobile. Elles sont téléchargées sur Internet et actualisées toutes les 5 à 10 secondes – un délai qui pourrait paraître déjà trop long à certains usagers.

Permettre aux usagers de se distraire… Des lecteurs de Blaise Pascal en auraient-ils soufflé l’idée à Otis? Cela n’aurait rien d’étonnant. Depuis la rédaction des «Pensées», l’être humain n’a pas vraiment changé. Or l’être humain, nous dit Pascal, est par nature incapable de supporter le sentiment de vide.

«Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide.»

Ayant horreur du vide, l’homme se porte avec empressement vers tout ce qui l’en détourne. Les concepteurs du système eDisplay d’Otis l’ont parfaitement compris, qui ont libéré les personnes sujettes au «malaise de l’ascenseur» de ces insupportables instants qui passent sans que rien ne se passe. Jusqu’alors condamnées à se retourner sur le gril de leur ennui, au risque de se laisser aller à penser, elles disposent aujourd’hui d’un précieux dérivatif à ce face-à-face cru et nu avec elles-mêmes. Ouf!

D’utilitaire, l’ascenseur entre ainsi dans la catégorie des gadgets qui ne font que renforcer un besoin déjà irrésistible à l’état de nature: le besoin de se divertir. Pascal ne connaissait pas l’ascenseur, mais s’il découvrait aujourd’hui l’eDisplay, il estimerait peut-être que cette invention supprime une chance pour l’être humain d’échapper à son malheur.

Ne prétendait-il pas que «tout le malheur de l’homme vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre»?

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Et si Microsoft construisait des ascenseurs? Le scénario, pas triste, peut être consulté sur un tadalafil capsules.