La notion d’espace a été remplacée par celle de village, et pourtant, les vrais villages foutent le camp. Celui de Geneviève Grimm-Gobat n’a plus de Poste et les trains ne s’y arrêtent pas.
Saviez-vous que nous venons de quitter la décennie de l’espace? Les vestiges sont encore là, autour de nous: espace fumeurs, espace du cheveu, espace Cardin, espace Euro, Espace 2, espace nature, espace rencontres, espace francophone, espace Mittelland, espace photo, espace jeux, espace culturel, espace jeunesse, espaces verts bien sûr, et l’incontournable Espace de Renault. La liste pourrait encore s’allonger. On a même vu la police genevoise s’installer en gare de Cornavin sous l’enseigne «Espace Police», c’est dire si le concept s’est imposé.
Mais l’espace est devenu ringard, nous entrons dans l’ère du «village», dont l’engouement a été consacré cette année.
Village du livre, Ciné-Village, Village immobilier, Village Inline, Village de la Solidarité, Village Solaire, Gourmets Village, Village data, Village d’art, Village Electronique,Village Presse, Village Gay, Village de la Justice, Business Village, Village de la radio, Village des sponsors… Il suffit d’entrer « village » (http://www.altavista.com/cgi-bin/query?q=village&kl=XX&pg=q&Translate=on) dans un moteur de recherche pour se convaincre de l’ampleur du phénomène. Relevons que les sportifs avaient pris de l’avance en parlant de «Village Olympique» depuis fort longtemps.
A mon avis, le retour du village n’est pas un hasard. Oui, la Terre est devenue un village planétaire, un «village global», selon l’expression inventée par le Canadien Marshall McLuhan en 1964 déjà, pour décrire l’essor des médias électroniques et leur influence croissante sur les sociétés humaines. D’un coup, l’appellation village a ainsi perdu sa connotation bouseuse et passéiste. Davantage encore, elle s’impose maintenant comme une preuve d’appartenance à l’ère de la révolution électronique et de la mondialisation de l’information.
Paradoxalement, si le concept de village est à la mode, les vrais villages perdent eux leur âme. Le mien, Belprahon (BE), est un bon exemple. L’ouverture de grandes surfaces dans la ville toute proche avait déjà tué la petite épicerie. Le préau de l’école, regroupement scolaire oblige, s’est mué en arrêt de bus. Le train ne s’arrête pas, préférant déposer quelques touristes à la station du minuscule zoo quelques kilomètres plus loin. Pour couronner le tout, la fermeture prochaine du bureau de Poste vient d’être annoncée.
L’endroit où j’habite ne se reconnaît plus dans la définition de village que donne le Petit Robert: «Groupe d’habitations assez important pour avoir une vie propre (église, mairie, boulangerie, café, poste).»
Pas étonnant que les villageois dépités, pour retrouver la convivialité perdue de leur bled, se muent pendant leurs vacances en «gentils habitants» d’un village avec un V majuscule: un Village du Club Med ou un «Village Chic» pour reprendre l’expression du Nouvel Observateur (édition du 17 août). «C’est là qu’on aimerait avoir des souvenirs, parce qu’on voudrait être «de là-bas». C’est peut-être ça, le chic du chic d’un village: s’y sentir en harmonie avec les pierres et les gens», peut-on y lire.
La démarche de Philippe Bourguignon (le PDG du Club Med) sonne comme un programme politique: «Redécouvrir les vraies valeurs qui unissent la société». Une société de touristes, de clients ou de citoyens?
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A lire, d’Arnaud Mattelart, «Histoire de l’utopie planétaire. De la cité prophétique à la société globale» (édition La Découverte).