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Le monopole de la courte vue

Le Conseil fédéral entend desserrer la mainmise étatique sur les transports. Pas sur les redevances audiovisuelles. Pourquoi pas l’inverse?

Monopole de l’information, monopole des transports: des deux, le Conseil fédéral semble préférer le premier. C’est en tout cas celui qu’il paraît prêt à défendre avec le plus de pugnacité et de conviction. L’émergence hasardeuse des deux questions dans l’actualité le démontre.

Un non sec, sans réplique: voilà ce que le gouvernement, dans son message au parlement, oppose à l’initiative sur «la suppression des redevances radio et télévision». Un texte qui souhaiterait proscrire le subventionnement confédéral de toute chaîne de télévision ou de radio, ainsi que le prélèvement d’une redevance de réception. Ne serait autorisé que le paiement de la diffusion de communiqués urgents. Quant aux concessions, elles seraient régulièrement mises aux enchères.

Selon les initiants, la plupart UDC, la situation actuelle établit de fait un quasi monopole de la SSR, qui avale l’essentiel du gâteau des redevances. On pourrait préférer «une concurrence loyale» entre les divers médias.

Certes, chez les esprits libéraux qui se respectent, l’épithète «loyale» est toujours accolée au substantif «concurrence». Comme si cela allait de soi. Comme si chacun ne savait pas que ce qui est surtout demandé, c’est de la concurrence, et que la loyauté sera donnée en surplus. Si tout va bien. Il est vrai aussi que les attaques portées ces dernières années contre la SSR et son bras armé Billag émanaient la plupart du temps de politiciens et d’élus largement à la botte d’intérêts privés directement concurrents de la SSR.

N’empêche, les arguments du Conseil fédéral pour maintenir le statu quo ont de quoi laisser songeur. Que l’acceptation de cette initiative empêcherait la SSR de remplir son mandat, c’est difficilement contestable. Mais soutenir dans la foulée que «la diversité de l’offre et des opinions s’en trouverait fortement réduite» ne mérite au mieux qu’un grand éclat de rire. C’est parler comme on aurait pu parler il y a 20 ans. A cette époque lointaine, vous savez, où certains trucs et machins, comme internet, les réseaux dits sociaux, et autres babioles, n’existaient pas.

Le Conseil fédéral est-il au courant que les «millénials», c’est-à-dire les futurs maîtres du monde, regardent de moins en moins la SSR, comme d’ailleurs les autres chaînes? Que l’information n’a jamais été aussi diverse et variée? De qualité certes, dira-t-on, tout aussi fluctuante que les canaux innombrables qui la diffusent. Mais la SSR peut difficilement se vanter d’œuvrer à la diversité de l’information, elle qui reste dans un ton et un contenu des plus «mainstream».

Concernant les transports, c’est une autre chanson. Certes, il y a quelques mois, en réponse à une motion du radical Philippe Nantermod réclamant une libéralisation de lignes d’autobus (Macron, sors de ce corps!), le Conseil fédéral invoquait la nécessité de protéger les grandes lignes des CFF. Pour lesquelles évidemment d’énormes investissements avaient été consentis. Mais aujourd’hui l’Office fédéral des transports se montre moins catégorique: «Nous pourrions accorder une autorisation pour de nouvelles lignes de bus en trafic intérieur.» Un gros opérateur allemand, actif dans une vingtaine de pays, est d’ailleurs déjà en embuscade.

Effectuer à un tarif dérisoire le trajet Genève-Zurich en bus plutôt qu’en train? Pourquoi pas. Sauf que les trains suisses sont parmi les meilleurs du monde, même si l’usager gavé qui peste sur un quai pour dix minutes de retard ne s’en rend plus vraiment compte. Il reste nettement moins confortable de voyager en bus — même de luxe — que dans un train de deuxième classe. Essayez par exemple d’écrire, ballotté dans un autocar, une chronique à la gloire des CFF.

C’est toute la différence entre les deux monopoles: l’un peut mettre en avant sa qualité indiscutable et à peu près exclusive, l’autre non. C’est pourtant ce dernier que le Conseil fédéral entend préserver à tout prix. Le monopole de la courte vue?