LATITUDES

«Tu l’as chantée toi la Marseillaise?»

Quelques jours avant les attaques qui ont frappé Paris, une étude relevait que chanter en groupe constituait le meilleur moyen de mettre en place des liens sociaux. «La Marseillaise», «La vie en rose», «L’hymne à l’amour» ou «Perlimpinpin» sont venus le confirmer. Le monde se réenchante-t-il?

Début novembre, des chercheurs en psychologie de l’Université d’Oxford publiaient, dans la revue «Open Science», les résultats de leurs travaux portant sur la création de liens sociaux. Un groupe d’adultes a été réparti parmi trois activités: une chorale, un atelier de bricolage et un atelier d’écriture. L’expérience a duré sept mois, au cours desquels les participants ont été invités à pratiquer leur nouvelle activité au moins une fois par semaine. Au terme de celle-ci, les chanteurs avaient tissé des liens d’amitié entre eux, plus sincères et plus durables que ceux formés au cours des deux autres activités. «Déjà au bout d’un mois, nous avons observé que les chanteurs formaient une mini-communauté soudée: la chanson permet visiblement de briser la glace», commente Jacques Launay, un des auteurs de la recherche.

L’actualité est venue confirmer la pertinence de ce constat. La chanson n’est pas qu’un brise-glace, elle réchauffe les cœurs. «Si l’on m’avait dit, il y a quelques jours que, la larme à l’œil, je chanterais la Marseillaise, je me serais inquiété pour ma santé psychique». La lecture de cette confidence découverte sur un blog, m’a incitée à sonder alentour: «Tu l’as chantée toi la Marseillaise?». Aucune réponse ne m’a renvoyée à l’insolence de la question. Il y a peu, qui chantait l’hymne français n’était-il pas traité de ringard, de facho ou de lepéniste?

La donne a changé. Quoi de mieux que la chanson pour satisfaire un besoin manifeste de partage et d’humanité face à la violence? «Aux armes citoyens», s’est imposé spontanément aux spectateurs du match Allemagne-France sortant du Stade de France alors que, la peur au ventre, ils s’engouffraient dans les stations de métro. Quatre jours plus tard c’est le stade de Wemblay qui fraternisait au son de l’hymne des mangeurs de grenouilles.

Entretemps, la Marseillaise avait retenti de Notre-Dame de Paris au Metropole Opéra de New York en faisant le tour de la planète. Oubliées, les controverses suscitées par ses paroles? Nombreux sont ceux qui optaient pour «aux larmes citoyens». Sur la couverture du «Courrier International» on découvrait «Aux âmes citoyens» alors que Laurent Joffrin, le directeur de «Libération», s’adressait à ceux qui hésitaient à l’entonner: «Les Marseillaises qui retentissent n’appartiennent pas au registre passéiste et fermé. Ils sont républicains plus qu’identitaires.» Une injonction à s’emparer sans mauvaise conscience de ce substrat patriotique.

Les résolument allergiques au «sang impur» ont pu se reconnaître dans les textes interprétés par Madonna, Nathalie Dessay ou Camélia Jordana, Yaël Naim et Nolwenn Leroy. Ce deuil collectif s’est voulu musical. Grâce au chant, chacun a eu l’occasion d’oublier un instant son «je» pour fondre sa voix dans un «nous» réconfortant.

Avant la publication de l’étude oxfordienne et son éloge du chant comme lien social, de précédentes recherches avaient déjà relevé ses multiples vertus. Chanter permet d’éliminer le stress, d’instiller de la confiance et d’atténuer les traumatismes. Souder une communauté par l’émotionnel est relativement facile. Que survienne un drame et les clivages politiques s’éclipsent. On assiste alors à des cérémonies très dignes, à même de marquer la mémoire collective, avant de vivre des lendemains qui déchantent.

Que l’on ne se leurre pas, à elles seules, les chansons ne réenchanteront pas le monde. Moins mélodieuses, on ne saurait taire des questions qui détonnent dans le concert des voix prônant le recours à un arsenal répressif pour canaliser la violence. Qui vend des armes et achète du pétrole à ceux qui tuent les amateurs de chansons?