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Mariage pour tous, débat pour rien

Une question fiscale -l’initiative du PDC volant au secours des couples mariés trop imposés- dérape en vulgaire débat de société. La preuve involontaire que tout n’est pas politique.

Enfin. Enfin un nouveau front. Des alliances rafraîchissantes, inédites. La querelle des anciens et des modernes revisitée. Comme un entêtant parfum de Sonderbund retrouvé. D’un côté le Conseil fédéral, le PDC, le PBD, et l’UDC. Pour faire court: l’amicale des vieux réacs bondieusards, viscéralement accrochés à un monde pourtant déjà disparu. De l’autre, les radicaux et la gauche rose, rouge et verte. Autrement dit: le choeur des pimpants progressistes prêts à surfer sur le moindre début de vague sociétale et persuadés, contre bien des évidences, de vivre la période la plus civilisée de l’histoire humaine.

Et tout ça grâce à un débat improvisé sur la question du mariage pour tous. Arrivée enfin chez nous. Et capable, comme ailleurs, de déchaîner des flots de salive et d’invectives. Pour un véritable festival de vieilles ficelles et de cordes sensibles.
Au départ, le prétexte était plutôt mince et l’enjeu franchement rikiki. L’initiative du PDC «Non à la pénalisation des couples mariés» entendait corriger une légère anomalie. Les couples mariés gagnant conjointement plus de 190 000 francs par année paient plus d’impôt que les couples non mariés. Une affreuse injustice certes. A ce niveau de revenus cependant, on pouvait se dire qu’un peu plus, un peu moins, pas de quoi sortir sabre ni goupillon.

Mais le PDC en faisait une affaire de principe. Trouvant sans doute intolérable qu’une si noble, si sainte institution, le mariage, n’aboutisse finalement qu’à ça: se faire tordre d’avantage par un Etat rapace, mécréant, limite sodomite, tant qu’on y est. Une affaire de principe, oui. Et le PDC a été servi, avec un parlement faisant dévier une simple question fiscale en empoignade sur la notion même de mariage.

On a eu droit à des confessions, des exclamations, des cris du cœur qui n’ont pas grand chose à faire dans un parlement, même la désopilante Coupole fédérale. «Je suis homosexuel, je vis depuis vingt-cinq ans avec mon partenaire et c’est une bonne chose», s’est ainsi auto-enthousiasmé Daniel Stolz, radical bâlois. Pour mieux s’inquiéter dans la foulée de ce que l’initiative PDC propagerait une bien odieuse idée, ainsi formulée: «Une relation entre un homme et une femme vaut plus qu’une relation entre un homme et un homme.» «Dois-je m’excuser parce que je suis mariée?», pleurniche en retour la démocrate-chrétienne lucernoise Ida Glanzmann.

Tandis que la socialiste vaudoise Ada Marra s’essayait à la célèbre et très vieille figure du soupesage comparatif des pommes et des poires -«un lobby des homosexuels vaut bien un lobby des militaires»- le président démocrate-chrétien Darbellay, au nom de la sainte alliance, ne semble plus voir d’autre argument qu’un appel à la fine fleur du débat démocratique, autrement dit le gros des troupes. «Posez la question à n’importe qui dans la rue: qu’est-ce que le mariage? Il dira l’union d’un homme et d’une femme». A condition, Christophe, de bien choisir le bout de trottoir où tu iras la poser, ta question. Plutôt au sommet du Saint-Bernard qu’au fond des Pâquis.

Que dire aussi de la verte bernoise Regula Rytz moquant avec arrogance, suffisance et une très haute conscience d’être dans le bon camp, celui de la lumière, cette version «Hollywood des années 50: papa, maman et deux enfants». Ou de l’UDC argovienne Sylvia Fluckiger proclamant avec le même contentement être «mariée depuis 37 ans avec le même homme et fière de l’être».

Dialogue de sourds, mépris réciproques. On aura pourtant entrevu quelque chose dans le brouillard. L’inanité même des propos semble bien démontrer que la question du mariage n’a pas, n’a plus grand chose de politique, mais tout de la lubie personnelle.