LATITUDES

«Docteur, j’ai besoin d’un certificat»

Une simple toux justifie-t-elle un arrêt de travail? La réponse diffère selon que l’on soit salarié, employeur ou médecin.

Dans le train Lausanne-Yverdon de 18h45, deux hommes toussent en chœur. «Demain, ne compte pas sur moi pour me pointer au boulot, affirme le plus jeune. Mon toubib est sympa, il va me faire un certificat.» «A ta place, je ferais gaffe. Franchement, tu n’es pas plus malade que moi», lui rétorque son aîné, un collègue de travail, semble-t-il.

Frappés l’un et l’autre par un virus aux effets clairement audibles par les passagers de ce wagon bondé, ces messieurs y réagissent différemment. L’un se fera porter malade le lendemain, l’autre pas. Ils ne placent pas la barre de leur incapacité de travail au même niveau.

Où le seuil de l’abus se situe-t-il? Quand le médecin consulté fait-il preuve de complaisance en accordant un certificat médical d’arrêt de travail (CMAT)? L’absence qui en découlera sur le lieu de travail va-t-elle surcharger des collègues qui l’assumeront ou s’en offusqueront? L’employeur pénalisera-t-il par la suite cet employé jugé douillet?

La représentation que l’on se fait du travail varie fortement d’une personne à l’autre, ce qui explique la diversité des réactions en cas de maladie. Un petit rhume conduira à l’absence de l’un alors qu’une affection plus grave ne saurait dissuader un autre d’accomplir sa tâche; chacun s’en réfère à sa conscience professionnelle. Celui qui estime ne plus être en mesure de travailler doit alors fournir, dans un délai qui varie selon les entreprises, un certificat délivré par un médecin.

«‘Docteur, j’ai besoin d’un certificat médical.’ Qui peut prétendre ne pas entendre cette phrase quotidiennement, ou au moins hebdomadairement, dans ses activités de cabinet?». Noëlle Junod Perron et Jean-Michel Gaspoz interrogent leurs confrères dans un éditorial de la «Revue médicale suisse». Cette publication vient de consacrer un numéro à la clarification de «certaines règles ou bonnes pratiques de rédaction de certificats».

Les applications du droit en médecine semblent mettre les praticiens dans l’embarras, voire même franchement les indisposer: «Ce domaine est souvent vécu comme peu attrayant par de nombreux étudiants et médecins en formation qui mettent toute leur ardeur à maîtriser l’art du diagnostic et du traitement, lit-on dans la revue. Ce n’est que plus tard qu’on en réalise l’importance et ses implications dans le quotidien professionnel.» Or, on estime que près d’un tiers des consultations de médecine de premier recours débouchent sur l’établissement d’un certificat.

Au «hit-parade» des divers certificats médicaux – certificat de bonne santé, certificat d’aptitude à la conduite automobile, certificat d’aptitude au sport – c’est le certificat d’arrêt de travail qui figure en tête. Il permet d’attester que le patient ne peut ou ne doit pas travailler pour raisons médicales. Le secret médical s’applique pour sa rédaction qui ne comporte donc que les données strictement nécessaires et ne précise en aucun cas le diagnostic. Il engage la responsabilité du signataire et peut être contesté par l’employeur ou par des pairs ou experts. Un certificat de complaisance est punissable au sens de l’article 318 du Code pénal suisse qui prévoit une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire.

Ce document a toujours fait couler beaucoup d’encre, de par les tensions qu’il génère au sein du triangle médecin-patient-employeur. L’introduction récente de certificats médicaux par téléphone du centre de télémédecine Medgate est venue bousculer le landerneau patronal et les médecins du travail qui craignent le risque d’abus et émettent certains doutes sur la valeur et la crédibilité d’une attestation établie de cette façon.

Sachant que quelque 10 milliards de francs par année seraient versés aux employés en arrêt de travail, selon l’association d’assureurs Groupe Mutuel, on comprend que le cumul de toux et rhumes bénins (plus de la moitié des CMAT serait établie pour une durée de quatre jours au maximum) peut venir gripper le monde des assurances et se propager à l’ensemble de la société.

Absente du train matinal Yverdon-Lausanne au lendemain de la scène décrite, je n’ai pu enregistrer les commentaires suscités par la probable absence du tousseur, certainement encore sous sa couette.