Le remplacement du bouc Zottel par un bouvier bernois comme symbole du parti pourrait s’apparenter à une opération de dédiabolisation. Sauf que du gentil toutou au bon blochérien, il y a quand même un pas.
A l’heure où l’on apprend que des vaches écossaises à poils longs vont remplacer les traditionnelles brouteuses grisonnes sur la mémorable prairie du Grütli, un autre débat animalier menace de déchirer la classe politique suisse. On veut parler bien sûr du remplacement, dans le rôle de mascotte de l’UDC, du fameux bouc Zottel par un bouvier bernois en peluche prénommé Willy.
La prise de pouvoir des ruminantes écossaises sur le pré carré national s’explique par la décision d’un nouveau gérant d’origine américaine, qui a grandi certes en Suisse centrale, mais dont le patronyme — McCardell — trahit les ascendances calédoniennes. Les patriotes tendance gros bovins devraient s’en remettre.
Il en va autrement de la décision de l’UDC, qui a jeté la consternation. Notamment chez les propriétaires socialistes de bouviers bernois, qui se sont plaints auprès du président Levrat. Sur l’air de «Ciel mon animal préféré au service des idées nauséabondes de l’UDC». Lequel Levrat, nous apprend Le Temps, et après sans doute une réflexion qu’on imagine intense, a convenu qu’un pitbull aurait davantage fait l’affaire.
Le bouc, c’est sûr, semblait parfait comme totem blochérien. La sagesse populaire comme les encyclopédies en ligne ne retiennent guère de cet animal que des caractéristiques oscillant entre le répugnant et l’inquiétant. «L’odeur très forte» bien sûr, pérennisée par l’expression «sentir le bouc». Ou encore que la vilaine bête a été longtemps «associée au diable». Pile-poil, donc.
Le naturaliste Buffon déjà ne s’embarrassait pas de fioritures trop parfumées: «Les grandes cornes qui surmontent la tête du bouc, et la longue barbe qui est suspendue à son menton, lui donnent un air bizarre et équivoque». Equivoque, vous avez dit équivoque?
D’un homme à tête de bouc, Andersen dans le conte «La bergère et le ramoneur» disait, lui, «qu’il ricanait toujours, car on ne pouvait pas dire qu’il riait». Oskar, pourquoi tu tousses?
Le bouvier à côté, tout bernois qu’il puisse être, fait évidemment très pâle figure. Animal calme, affectueux et assoiffé de contacts humains, assurent les aficionados et autres éleveurs. Bref, trop gentil, trop pataud, trop sympathique pour symboliser la mâle férocité qu’on prête habituellement aux ténors de l’UDC.
L’intronisation de Willy pourrait donc passer pour une tentative de lissage d’image, de dédiabolisation, opération très à la mode dans les chapelles européennes de la droite extrême.
A l’heure surtout où l’avenir rendu incertain d’Eveline Widmer-Schlumpf au Conseil fédéral après l’échec des fiançailles PBD-PDC pourrait aiguiser les appétits UDC. Une Widmer-Schlumpf dont le siège serait plus aisément ravi par un UDC accommodant que jusqu’au-boutiste. Par un gentil plutôt qu’un méchant. Un bouvier plutôt qu’un bouc.
A y regarder pourtant de plus près, le choix du bouvier bernois comme nouvel emblème pourrait aussi bien être interprété comme une manière de renforcer l’idéologie agrarienne dans ce qu’elle a de plus recroquevillé.
C’est le moment de rouvrir les encyclopédies. D’où le Berner Sennenhund, son vrai nom, ressortira un brin essoré. «Surnommé par certains ‘pot de colle’, en raison de son grand attachement à ses maîtres»… «Sa nature de gardien fait en sorte qu’il fera preuve de méfiance à l’arrivée d’un nouveau venu»… «Peu sportif, il nécessite tout de même de longues promenades»… «Il n’aboie que s’il entend du bruit, mais lorsqu’il le fait, c’est avec beaucoup de conviction»… Voilà les quelques amabilités que l’on peut découvrir sur la fiche Wikipedia du bouvier bernois.
Notons, enfin, que l’une des utilisations fréquentes du brave animal est la conduite des aveugles. Il fallait que cela soit dit, nom d’un chien.