Pour se remettre d’un chagrin d’amour, les dernières recettes en date s’orientent vers un traitement de la douleur physique et non plus émotionnelle.
Comment survivre à la douloureuse épreuve du chagrin d’amour? Jusqu’ici, un cœur brisé se recollait à l’aide de chocolat, de kleenex, de nuits blanches, d’échanges avec des proches ou un psy, ou encore par la lecture d’articles ou de livres aux titres édifiants: «Guérir d’un chagrin d’amour», «10 idées pour se remettre d’un chagrin d’amour», «Chagrin d’amour: la détox en 3 étapes», «Rebondir après un chagrin d’amour», «Chagrins d’amour: souffrir, mieux se connaître, et renaître», etc.
La consolation philosophique est une autre manière de surnager au naufrage amoureux. Avec «Le chagrin d’amour» de Frédéric Pajak, on se sentira moins seul, en bonne compagnie même, à endurer cette souffrance. Dans «Les consolations de la philosophie», Alain de Botton propose de se fier aux «ordonnances» prescrites par Schopenhauer. Le remède de Lucia Etxebarria est plus drastique. «Je ne souffrirai plus par amour» est un livre décapant qui bouscule la tyrannie des sentiments et nous apprend à ne plus souffrir inutilement par amour.
Chacun s’accorde à dire que la valeur sûre de la pharmacie amoureuse est le temps. Il convient, selon l’adage populaire, de «laisser le temps au temps», de permettre le déroulement d’un processus de deuil dont on ne saurait brûler les étapes. Si «L’amour dure trois ans» pour Beigbeder, la durée d’un chagrin d’amour a été mise en équation mathématique par un statisticien, Garth Sundern, c’est l’«Ex-Formule».
En ce moment sur les écrans, le film documentaire «Sleepless in New York» permet de suivre le vécu de trois personnes aux cœurs brisés. Le cinéaste suisse Christian Frei «explore le chemin terriblement difficile à parcourir d’un comportement obsessionnel, autodestructeur…à un nouveau soi», comme il l’explique lui-même dans un texte publié dans “Das Magazin”.
Une publication de l’Américian Walter Mischel vient opérer un changement de paradigme. Le chagrin d’amour n’y est plus assimilé uniquement à une épreuve émotionnelle à surmonter. Il entre dans la catégorie des douleurs physiques à soulager. Ce professeur de psychologie laissera vraisemblablement son nom dans l’histoire de sa discipline. Le célèbre «test des marshmallow», qui porte sur la gratification différée, c’est lui.
Aujourd’hui, avec des chercheurs de l’université Columbia, à New York, il a étudié les symptômes des chagrins d’amour et pense avoir trouvé un traitement efficace pour les cœurs brisés: quelques aspirines, éviter d’évoquer tout ce qui rappelle l’ancienne. «Le cœur brisé et la douleur émotionnelle font vraiment mal physiquement», explique le chercheur. «Lorsque vous regardez une photo sur le nouveau profil Facebook de votre ex, vous ressentez une douleur dans une région du cerveau qui s’active quand, par exemple, vous vous brûlez le bras», précise-t-il.
La neurobiologie est à l’origine du traitement préconisé par Mischel. Pendant plus de trente ans, l’anthropologue Helen Fisher a étudié le cerveau amoureux. Elle a observé le cerveau des personnes traversant un chagrin d’amour à l’aide de l’imagerie par résonnance magnétique (IRM). Elle en conclut: «Le chagrin d’amour est une expérience corporelle physique. (…) Les zones activées à l’IRM sont les mêmes que pour le sevrage d’autres dépendances (cocaïne, nicotine, alcool), qui lui aussi engendre des douleurs physiques.»
Les professionnels de la thérapie par la parole que sont les psychiatres et psychologues prendraient-ils la mauvaise direction? A leurs yeux, le chagrin d’amour est nécessaire pour mieux se connaître. Il permet de comprendre nos manques, que l’on recherche dans la personne aimée. Il nous aide à devenir plus humains. On en sort plus fort. En un mot, c’est une épreuve irremplaçable, parce que structurante.
Si l’aspirine devait effectivement se montrer efficace, la réduction rapide des affres de l’amour n’entrainerait-elle pas d’autres dommages collatéraux? Sans chagrins d’amour, une importante veine d’inspiration se tarirait. Les ruptures et déceptions amoureuses alimentent une multitude d’œuvres littéraires, musicales, théâtrales et cinématographiques. Pour Christian Frei, «beaucoup de productions artistiques sont le fruit de nuit d’insomnie».