Balades contemplatives en train, longues séances de tricot ou recueillement au coin du feu, la télé au ralenti bat des records d’audience en Norvège. Reportage.
«C’est encore plus beau qu’à la télé, vous ne trouvez pas?» Le jour se lève sur un splendide paysage enneigé. Le couple avec lequel je partage un compartiment dans le train Oslo-Bergen me prend à témoin. «Mieux qu’à la télé?», je ne comprends pas cette référence au petit écran. «Sans l’émission de «Sakte-TV», nous ne serions pas ici. C’est elle qui nous a poussés à venir ici.» «Sakte-TV?», merci de traduire! «Comment, vous ne connaissez pas nos fameuses émissions?»
Quel sans-gêne de ma part, voyager en Norvège et ignorer que «sakte» signifie «lent» et qu’il est question de «Slow TV»! D’autant plus, qu’au pays des fjords, il s’agit du mot de l’année 2013. Non, ici ce n’est pas «Selfie». Des démarches aux antipodes l’une de l’autre, avec des caméras tournées vers le monde pour l’une et focalisées sur soi pour l’autre.
Arrivée à Geilo, je quitte mes voisins qui me convainquent de poursuivre, visuellement, les trois heures de trajet qui me séparent de Bergen, devant mon ordinateur. Grâce à eux, je suis entrée dans l’univers de «Sakte-TV». A l’hôtel, de la réceptionniste au garçon de café en passant par le directeur, toutes les personnes questionnées à son sujet avaient vu ces émissions pas comme les autres. Pourquoi? «Parce qu’elles calment», «elles nous ouvrent les yeux sur la réalité», «elles permettent à l’esprit de s’évader», «elles permettent de quitter la course contre la montre», «c’est de la méditation».
Tout a démarré en 2009, avec la diffusion du best timing cialis. Une émission proposée par la chaîne NRK (la première chaîne publique norvégienne). Plus de sept heures sur les rails, filmées en temps réel, par quatre caméras (deux à l’extérieur du train, deux à l’intérieur). Plus d’un million de spectateurs n’ont pas boudé le plaisir d’embarquer à bord de ce train qui sillonne des paysages époustouflants.
Depuis, l’expérience a été renouvelée à plusieurs reprises avec des audiences toujours faramineuses. Ainsi, la croisière à bord de l’Express côtier (Hurtigruten), de Bergen à Kirkenes, soit cent trente-quatre heures. Plus de 3 millions de spectateurs ont pris part au périple à un moment ou l’autre de sa diffusion. Constituée principalement de plans fixes, l’émission alternait entre prises de vue de onze caméras et cartes de géographie, et faisait entendre musiques et sons ambiants. Le «Guinness Book» des records a enregistré l’événement à titre de «plus long programme de TV».
Plus casaniers, les reportages consacrés au feu de bois, huit heures avec des flammes pour seules actrices sur l’écran, ou à une femme tricotant intégralement un pullover (huit heures trente-cinq), ont su hypnotiser des spectateurs habituellement prompts à zapper.
Si le caractère soporifique du petit écran est bien connu, rien de semblable avec ces émissions qui visent à engendrer «un état de relâchement, de détente», explique Rune Moeklebust, directeur d’unité de programme chez NRK. «C’est de la télé-réalité au sens littéral du terme: quelque chose d’authentique, que l’on montre en temps réel et sans condensé». Le succès de cette télévision escargot s’explique-t-il par la décélération bienvenue qu’elle offre, alors que tout s’accélère par ailleurs? Cette nouvelle niche télévisuelle fait-elle partie de ce qu’Hartmut Rosa, l’auteur de «L’accélération» (Editions La Découverte) appelle de ses vœux, le recours à un «freinage d’urgence»?
Présenté comme novateur, ce concept de restitution du temps réel l’est-il vraiment? En 1963 déjà, le film d’Andy Warhol, «Sleep» montrait, durant cinq heures et vingt et une minutes, le poète John Giorno filmé pendant son sommeil. Par la suite, il fut adapté pour la télévision et diffusé sur de rares chaînes américaines et britanniques. Le pape du pop art a donné ses lettres de noblesse au banal. Il explora une nouvelle façon de faire une place à l’ordinaire pour en révéler la poésie. «Pourquoi ne pourrai-je pas être non original?», revendiquait-il. Son esthétique visait à «filmer comme on regarde par la fenêtre», explique-t-il dans «Entretiens» (Grasset). Alors, warholienne la «Slow TV»?