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Spécialiste des nouveaux médias, Dominic Pettman enseigne à l’université The New School de New York. Il témoigne de l’influence grandissante de la téléréalité sur le comportement des étudiants.

Parents et professeurs le savent bien: les jeunes paraissent parfois constituer une autre espèce qui gravite dans des environnements fort éloignés des nôtres. Pour le biologiste Jakob von Uexküll (1864-1944), toute créature reste isolée dans son propre «umwelt», un univers de perception qui l’englobe entièrement telle une impénétrable bulle de savon.

C’est pourquoi l’enseignement représente un tel défi; en particulier à cause de ces bulles numériques qui accaparent l’attention des étudiants. La clé en pédagogie est d’impliquer les étudiants. Nous, professeurs, ne pouvons plus nous contenter de les tirer par la force jusqu’à notre umwelt — et d’appeler cela «enseigner». Nous devons au contraire créer des espaces intermédiaires entre nos différentes bulles afin de permettre à l’apprentissage de fonctionner de manière organique à travers une réorientation mutuelle. C’est ce que j’ai tenté de faire lors d’un cours récent donné sur l’univers de la téléréalité, en le structurant à l’image d’une de ces émissions.

La première partie est restée classique, avec des lectures au sujet de l’histoire du genre et de thèmes liés tels que le narcissisme, l’exhibitionnisme, la surveillance ou encore l’économie de l’attention humaine. La partie éliminatoire a été librement inspirée de «Project Runway», une émission de téléréalité basée sur la création d’habits: les étudiants recevaient chaque semaine un exercice qu’ils devaient présenter à un jury d’experts. Les «candidats» ont également enregistré des vidéos-confessions au sujet de leur expérience, qui furent postées sur un blog.

L’écart entre mon umwelt et celui des étudiants n’a pas tardé à se manifester. Croyant les rassurer, j’ai souligné que les vidéos produites ne seraient en aucun cas diffusées publiquement, mais j’ai ainsi déclenché une vague de déception et de protestation: «A quoi ça sert alors de nous filmer?» Cette question emphatique — parfaite illustration de notre époque saturée de Facebook — est devenue un point de référence durant tout le semestre et a mis au jour les hypothèses souvent naïves que nous faisons sur notre identité, la performance et les modes de témoignage.

Ce concept de cours un peu kamikaze s’est révélé un moyen efficace pour les étudiants de déconstruire de manière critique leur propre relation aux médias (et donc à eux-mêmes) — et de secouer mes vieilles conceptions sur la manière d’enseigner les sciences humaines. Cerise sur le gâteau, j’ai trouvé la récompense idéale pour le vainqueur: un stage rémunéré sur le tournage d’un film consacré à la téléréalité, réalisé par l’une de mes anciennes étudiantes, Valerie Veatch.

L’un des objectifs du cours était de tester ma théorie selon laquelle nous sommes tous influencés par les conceptions véhiculées par la télé-poubelle — même les jeunes qui se disent être au-dessus d’elle. Nous pouvons prétendre ne jamais la regarder: nous sommes quand même envahis par sa logique, ses rituels, ses conventions et sa vanité. Notre identité est désormais influencée par ces scènes de confession, par le concept «d’immunité» dans une compétition ainsi que par la dynamique de pouvoir asymétrique des juges. Même lorsque la caméra cesse de tourner, la téléréalité menace d’éclipser la réalité.

L’enseignement doit faire éclater les bulles individuelles, mais un plus grand défi est de trouver, de manière transgénérationnelle, des solutions pour empêcher notre umwelt collectif d’être constamment pollué par ces schémas de pensée et de comportement. D’autant plus qu’on se surprend à imaginer nos leaders se transformer en de grotesques marionnettes dans le dernier épisode de «The Real Housewives of Congress» ou «Le prochain top pontife du Vatican».
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A lire et à regarder: «Reality TV: The Work of Being Watched» par Mark Andrejevic (2003) et «Me At The Zoo» par Chris Moukarbel and Valerie Veatch (2012).
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.