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Salaires: entre basse envie et noble utopie

L’initiative 1:12 des jeunes socialistes visant à réglementer l’écart entre les rémunérations brise de nombreux tabous locaux. Ses ennemis surgissent de partout, mais ne sont pas toujours faciles à suivre.

Les jeunes socialistes vous saluent bien et vous donnent même l’heure: 1:12, docteur Schweizer. Et sans doute aussi moins cinq pour cette initiative échevelée que certains verraient bien subir le même sort que celle du GSsA sur — ou plutôt contre — l’armée: la déroute d’une utopie.

Certes, le président Levrat joue au plus fin, comme anticipant le désastre, et tire une formule magique de son chapeau à malices, lui l’indécrottable joueur d’échecs: l’initiative donc des jeunes socialistes visant à réglementer de 1 à 12 l’écart maximal entre les rémunérations serait bien une utopie, mais attention une «utopie nécessaire».

Aux jeunes socialistes, les vieux cons rétorquent volontiers que pour nécessaires qu’elles soient, les utopies, notamment celle à l’origine lointaine de leur engagement, débouchent en général sur des bilans chiffrés assez précis et systématiques. Un million de morts par année — en moyenne — pour l’exemple soviétique, soit à peu près le même score que l’hitlérisme, qui certes faisait plutôt dans la haine pure et le délire à échelle industrielle, que la rayonnante utopie.

Pour constater l’inextinguible appétit des peuples pour la justice sociale, Le Temps, quotidien libéral et à vendre, en appelle à Tocqueville: «Ils veulent l’égalité dans la liberté et s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage.» Quitte à trancher des têtes, ou éclater les nuques récalcitrantes.

On n’en est évidemment pas là. Surtout que l’appétit pour l’utopie et l’aventure reste en général des plus modestes sous nos tièdes et tempérées latitudes. Lors d’un crispant face-à-face dans les colonnes de «La Gruyère», on a pu ainsi récemment entendre les deux candidats à la succession d’Isabelle Chassot au gouvernement fribourgeois — le socialiste Steiert et le PDC Siggen — faire assaut de reniement. Steiert jurant qu’il n’était pas si à gauche que pouvaient le suggérer ses votes au Conseil national et qu’il appartenait en réalité à l’aile droite du PS, Siggen s’agaçant au contraire de la réputation qu’on lui faisait d’appartenir, lui, à la tendance Sonderbund et droitière du PDC, alors qu’il n’était dans le tréfonds de son âme qu’un humble, qu’un inoffensif, qu’un pâle centriste.

De son côté, l’homo helveticus n’aimerait pas non plus, nous dit-on — pas plus en tout cas que ses dirigeants –, renverser les tables, fussent-elles celles du café du commerce. Prêt à vitupérer à journée faite contre les gros, les gras qui se mangent leurs millions annuels de revenus, bonus et autres gâteries intimes. Mais muet soudain lorsqu’il s’agit d’évoquer sa propre rémunération. Plutôt parler sexe et/ou foot que pognon.

Et puis, il y a les esprits froids, calculettes en mains, dont cela semble être la vocation: doucher les plus beaux enthousiasmes. Eux nous assènent que la réduction d’écart de 1 à 12 entre les salaires, se faisant évidemment par le bas plutôt que par le haut, aboutirait à une chute vertigineuse des recettes fiscales. Où donc alors l’Etat asséché couperait-il, si ce n’est d’abord dans les dépenses sociales? Autrement dit: petites gens, prenez garde à ne pas vous entuber vous-mêmes avec ces nobles idées, cet égalitarisme de contes pour enfants.

Enfin, il y a les tordus, ceux qui n’adorent rien tant que chercher — et surtout trouver — le diable dans les détails: en aboutissant, l’initiative 1:12 enlèverait le pain de la bouche des syndicats, dont l’une des tâches consiste bien à négocier les rémunérations avec le patronat. Adieu donc ces mécaniques de précision tellement suisses que sont les conventions collectives et l’art tout aussi prudent du cas par cas.

Avec tant d’ennemis, se dit-on, le seul 1:12 dont l’initiative des jeunes socialistes pourrait se rapprocher, c’est celui de son score dans les urnes. A moins que la simple envie, la basse jalousie, ne remplacent dans les coeurs au moment du vote le goût d’une utopie certes nécessaire, mais in fine beaucoup moins répandu.