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Que faire d’Oskar, ou le mystère des bananes bleues

Il est peut-être un peu tard pour s’apercevoir, fut-ce à la lueur d’un vague drapeau allemand, que le conseiller d’Etat Freysinger se situe très à droite sur l’échiquier politique.

Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer. C’est vrai qu’il est assez joli le drapeau du deuxième Reich qui flotte dans la collection personnelle du nouveau conseiller d’Etat valaisan Oskar Freysinger. Et puis, il ne s’agit quand même que du deuxième Reich, comme si on reprochait à un militant socialiste d’arborer dans sa salle de bains les emblèmes de la Russie tsariste, après avoir pendant des décennies brandi à la moindre manif, la faucille et le marteau sur fond rouge.

Et tant pis si le drapeau incriminé a continué d’être utilisé sous le régime hitlérien et s’il est encore revendiqué par les néonazis allemands: il reste autorisé même outre Rhin contrairement à la sinistre croix gammée. La polémique a pu donc sembler assez vaine — pourquoi se montrer plus allemand que les Allemands? — et s’apparenter à un simple et ordinaire pet médiatique. Si ce n’est que la justification de Freysinger — il ne savait pas, c’était juste l’esthétique, les jolies formes et couleurs du fanion allemand qui l’avaient incité à se le procurer — cette justification-là empeste la mauvaise foi et révèle une petitesse d’esprit assez remarquable.

De même tonneau et de semblable farine, l’affirmation de Freysinger selon laquelle il n’était pas au courant que les milieux d’extrême droite européens s’étaient félicités de son élection. Une telle négation renvoie à celles de sa propre caricature lambielesque s’acharnant à prouver que les bananes sont bleues, après qu’Hergé et Eluard ont certes bien tenté de faire de même avec les oranges.

Quant à soutenir que ce qu’il entrepose dans sa cave ne regarde que lui, là aussi la défense du conseiller d’Etat Freysinger s’avère des plus bananières. La cave a beau se rebiffer, il peut arriver même en Valais qu’elle n’abrite pas que des grands crus, parfois même des petites horreurs, des cadavres autrement moins licites que les 3/8 d’arvine. Ce que l’Autrichien Fritzl par exemple cachait dans la sienne a fini par regarder tout le monde.

On remarquera aussi qu’il n’y avait pas besoin d’un vague drapeau, placé dans la cave d’Oskar le Grand pour connaître les accointances du personnage avec les milieux d’ici et d’ailleurs pratiquant une méfiance ouverte et revendiquée envers la construction de sociétés multiculturelles et l’avancée en Europe d’un islam supposé conquérant. Deux réticences, soit dit en passant, qui n’ont encore rien d’illégales et relèvent de la liberté d’opinion et d’analyse.

Et surtout qu’aucun des 56’000 Valaisans ayant voté Freysinger n’ignorait ces facettes du personnage et qu’elles ne les ont en rien rebutés. Il pourrait sembler pertinent de se demander pourquoi. Plus pertinent en tout cas que faire semblant de redécouvrir aujourd’hui qu’Oskar Freysinger se situe très à droite sur l’échiquier politique — ce qui équivaut un peu à découvrir soudain qu’en réalité, eh bien non les bananes ne sont pas tout à fait bleues ni ne l’ont jamais vraiment été. Pourquoi attendre la découverte d’un insignifiant drapeau pour entamer un procès en sorcellerie dont les éléments à charge ont été réunis depuis longtemps?

Une autre vraie question se pose, alors que le nouveau Conseil d’Etat valaisan se réunira une première fois le 10 avril pour discuter de la répartition des départements: que faire d’un type comme Freysinger dans un gouvernement? Le conseiller national Stéphane Rossini a déjà répondu dans l’organe du PS valaisan: l’occuper à la police plutôt qu’à l’instruction publique. «Veut-on, demande Rossini, que le leader le plus en vue de l’aile xénophobe et conservatrice de l’UDC, distillant depuis des années la haine des étrangers, tienne les rênes de l’éducation de nos enfants et de notre jeunesse?»

Pour d’autres motifs, le président du PDC valaisan Michel Rothen arrive à la même conclusion, affirmant dans le Nouvelliste n’être pas très chaud pour laisser à d’autres — sous-entendu autres qu’un des trois larrons démocrates-chrétiens du gouvernement — ce département de l’enseignement «qui devrait être très gratifiant, sans dossier majeur et avec la venue de l’EPFL».

C’est ainsi qu’après l’avoir plébiscité au-delà de toute raison et de tout pronostic, le Valais semble hésiter à confier le sort de ses enfants à l’ogre Freysinger, enseignant pourtant de métier. En se disant peut-être que même lorsqu’elles pourrissent, on a beau faire, les bananes ne deviennent pas bleues, mais noires. Comme une jolie croix de fer.