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Demi-président et petite arvine

L’élection sans histoire d’un Maurer qui ne peut que surprendre a failli être éclipsée par le coup de force d’une énième AOC valaisanne. Histoire.

C’est un consensus rare qui a salué l’élection d’Ueli Maurer à la présidence de la Confédération, et ce avant même qu’elle ait lieu: «demi-président», «président minimal», «président low cost», on a compris l’idée. Ici même on s’est gaussé et inquiété du fait que ce gnome zurichois-là, très soupe à la courge, doive désormais nous représenter par monts, mers et vaux.

Parti pourtant comme il l’est, le président Maurer pourrait bien faire mieux que prévu puisque personne n’en attend rien. N’a-t-il pas déjà réussi à éviter le camouflet de la plus mauvaise élection d’un président de la Confédération? Merci Micheline. Et puis peut-être cet homme-là nous échappe-t-il? Où est le vrai Maurer? Dans l’arrogant président de l’UDC qu’il fut ou dans l’effacé conseiller fédéral qu’il vient d’être?

D’autant qu’avec les présidents de la Confédération d’obédience UDC, mieux vaut après tout se méfier. Le dernier en date, Samuel Schmid, qualifié de «demi conseiller fédéral» par, tiens, un certain Maurer Ueli, s’était révélé au contraire un président à part entière. Aussi bien proche de la population — comme Maurer lui-même a dit qu’il le serait — mais surtout crédible et pugnace sur la scène internationale. Osant même défier le dictateur Ben Ali en son fief tunisien, lui brandir sous le nez la déclaration des droits de l’homme lors du Sommet mondial sur la société de l’information en 2005. Voilà donc Maurer avec un modèle simple et efficace à suivre.

Mal élu, mais sans vraiment se ramasser des gnons — aucune prise de parole assassine ou simplement dubitative avant le vote — Maurer dans son jour de gloire a presque failli être éclipsé par un coup politique fleurant l’anecdote et le terroir. Mais révélant aussi combien pour avancer en politique une des nombreuses conditions est de s’assoir sur les avis autorisés et de moquer la tranquille parole scientifique.

On veut parler bien sûr de la décision du Conseil des Etats, après celle du Conseil national, de réserver l’appellation «petite arvine» au seul Valais. Contre l’avis certes du Conseil fédéral mais avec des appuis aussi divers que celui du président du PS Christian Levrat ou du chasseur de loups Jean-René Fournier. Avec bien sûr en maître de chai l’incontournable Christophe Darbellay qui tient donc, après l’idée de revoter sur l’EEE, son rythme d’une avancée forte par semaine. Et qui s’en réjouit: «Désormais, il ne pourra plus y avoir de petite arvine de Californie.» On connaissait le matche Valais-Judée, cher à Chappaz, voici que se profile le combat Fully-Napa Valley.

Sauf qu’un autre Valaisan, José Vouillamoz, expert de réputation international spécialisé dans la génétique des cépages, a aussitôt qualifié l’opération d’«absurde». Et d’expliquer qu’en appliquant les mêmes critères, les Vaudois seraient historiquement fondés à revendiquer l’appellation… fendant. La réplique cinglante est venue du chef du département valaisan de l’économie Jean-Michel Cina: «On peut couper tous les cheveux du monde en quatre: la petite arvine est culturellement valaisanne!» A quoi Darbellay, aussi bravache qu’approximatif, ajoute «cultivée en Valais depuis la nuit des temps». Et tant pis si on en trouve aussi ailleurs.

La tête de José Vouillamoz n’est d’ailleurs pas loin d’être mise à prix dans nombre de carnotzets depuis qu’il a démontré, éprouvette en main, que le seul cépage authentiquement valaisan et parfaitement autochtone était le lafnetscha du Haut-Valais, que le cornalin valaisan s’était longtemps appelé «rouge du pays» et que l’humagne de la plaine du Rhône était en réalité, elle, un cornalin, mais valdotain.

Bref, ce ne sont plus les cheveux qui sont coupés en quatre mais la tête qui se retrouve entièrement rasée. Comme l’a rappelé avec une pointe de second degré Oechslé bienvenue, le fondateur de Sierre-Zinal Jean-Claude Pont: «On sait quelle est l’origine de l’arvine. C’est Dieu lui-même qui a fait ce produit qui est si bon. Il l’a donné aux Valaisans».

En résumé donc on ne sait pas si Maurer sera un grand président, mais on a bien une petite idée. On ne sait pas non plus si l’arvine est valaisanne. Pour le nombrilisme mercantile par contre on aurait, là aussi, comme un soupçon.