KAPITAL

Le régime Dukan au pilori

Un nouveau livre polémique de deux médecins français vient relancer la lutte de pouvoir entre gourous de l’amaigrissement. Décryptage.

Dans notre société sédentaire où l’obésité et ses conséquences, notamment le diabète, prend des dimensions d’épidémie, rien d’étonnant à ce que des moyens d’y remédier soient recherchés. Si, depuis peu, des démarches de santé publique s’attaquent à ce problème, on culpabilise toujours le pauvre quidam en surpoids.

«Vous êtes gros! C’est que vous mangez trop. Optez donc pour le régime X, Y ou Z et vous allez retrouver le juste poids.» Ce discours et ses multiples déclinaisons remplissent les pages des magazines, et les ouvrages minceur les rayons des librairies. Telle la mode vestimentaire, les régimes à succès populaire se succèdent. Ainsi, la dernière méthode anti kilos à connaître la célébrité est le régime Dukan.

Or, ses jours de gloire pourraient être comptés avec la parution de l’ouvrage de deux médecins français, Gérard Apfeldorfer et Jean-Philippe Zermati. Le premier est psychiatre, le second médecin nutritionniste et spécialiste du comportement alimentaire. L’un et l’autre ont déjà publié plusieurs best-sellers sur le comment maigrir.

Les salves portées contre leur confrère Pierre Dukan, à la tête d’un véritable empire commercial grâce à ses livres et des produits dérivés, vont-elles lui porter le coup de grâce? Premier constat des deux docteurs: victimes d’une aggravation de leur problème, les patients post-Dukan consulteraient aujourd’hui leur médecin. Le régime hyperprotéiné et très déséquilibré du Dr Dukan produirait de dangereuses victoires à la Pyrrhus: «Nulle part ailleurs en médecine, un traitement échouant dans 95% des cas et aggravant la maladie qu’il prétend soigner ne saurait être prescrit», dénonce les deux médecins français.

Accusé en France par le Conseil de l’ordre des médecins de faire sa promotion personnelle et d’exercer la médecine comme un commerce, Dukan a demandé, en avril dernier, sa radiation pour «organiser sa défense». C’est donc sur une ambulance que tirent les auteurs de «Mensonges, régime Dukan et balivernes», (Odile Jacob, septembre 2012). Leurs arguments n’en méritent pas moins un regard critique.

Le «diéto-gourou» du moment ne prône rien de très original, constatent ses deux confrères. En effet, dans les années septante, les spécialistes de l’obésité de l’Hôpital universitaire vaudois (CHUV), à la pointe des connaissances scientifiques de l’époque, prescrivaient déjà un régime similaire (PSMF, «Protein Sparing Modified Fast»). Avec un tel régime, à court terme, les résultats sont très gratifiants. Les kilos tombent. C’est par la suite que les choses se compliquent. Dès le retour à une alimentation plus équilibrée, le poids remonte. Un an plus tard, l’écrasante majorité des «diéteurs» est revenue au poids de départ, voire l’a dépassé.

«Ceux qui n’évoquent pas les effets des régimes portent une lourde responsabilité. Si c’étaient des médicaments, compte tenu des taux d’échec et des effets secondaires, ils seraient immédiatement retirés du marché!», relèvent les coauteurs qui, après avoir dézingué la concurrence, énoncent leur nouvelle hypothèse. On ne contrôlerait pas le poids qui est le fruit du patrimoine génétique, de l’environnement, de l’histoire personnelle; «notre nature nous place dans une fourchette de poids qu’on ne peut pas changer».

Par conséquent, le fondement de leur méthode est l’écoute de soi, le respect des sensations alimentaires et le travail sur les émotions. Tout le monde a un poids d’équilibre et ce poids n’est pas modifiable. L’objectif de leur thérapie est de parvenir à le trouver, pas d’afficher une perte de poids spectaculaire.

Cette approche multifactorielle, aux objectifs modestes, nécessite le recours à des thérapies comportementales difficiles et de longue haleine. Ce nouveau courant nutritionniste porte un nom, c’est le «no dieting». Il y a changement de paradigme: avant, il était question de grammes, de protéines et de glucides, maintenant on évoque la satiété, la faim, l’écoute de son corps, les émotions. Les premières expériences paraissent prometteuses, en particulier en ce qui concerne l’estime de soi.

La conclusion de l’ouvrage est intitulée «Ca suffit les gourous». Apfeldorfer et Zermati échappent-ils à ce qualificatif? Sur les première et quatrième de couverture, des indices laissent planer le doute. Ainsi, un énorme «La vérité» et, en caractères rouges, un slogan cher à tant d’autres gourous, «Le livre indispensable pour maigrir et rester en bonne santé».

Mince! Nos auteurs, si sévères envers leur collègue, auraient-ils perdu leur sens critique en affirmant détenir la vérité et en s’estimant indispensables?