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Une Suisse sous les bombes

Pas un jour désormais sans une attaque contre la Confédération. Un matraquage facilité par un excès d’arrogance selon les uns, par un péché de faiblesse pour les autres. Ça tombe mal: le prochain président de la Confédération cumule les deux.

Patriolâtres, bouchez-vous vos grandes oreilles: concerto en reproches majeurs à tous les étages. Et même symphonie, tant chaque jour que Dieu fait sur la scène internationale, la Suisse semble de moins en moins aimée. Voire même: de plus en plus détestée.

On connaissait les requérants d’asile, furieux d’être traités plutôt comme des délinquants et/ou des parasites. On connaissait les non moins furibards ministres des finances de pays voisins ou lointains — façon Peer Steinbrück, lequel vise la place de Merkel, ce qui nous promettrait des beaux jours — tous enragés contre le secret bancaire et les forfaits fiscaux.

On connait de plus en plus ces fonctionnaires de l’Union européenne de moins en moins appâtés et même de plus en plus agacés par les fatigants accords bilatéraux. Avec comme conséquence «la dépendance et la vulnérabilité de la Suisse face à son principal partenaire qui ne cessent de croître», comme l’écrit dans un livre récent Philippe G. Nell qui fut l’un des négociateurs suisses sur l’EEE.

Il faudra désormais apprendre à connaître de bons citoyens européens, propres sur eux, mais en colère et surtout habitant la Suisse. Et ayant comme la méchante impression d’un jeu de dupes: les accords de libre circulation ne seraient pas vraiment équitables et profiteraient d’avantage aux Suisses résidant dans l’Union européenne qu’aux Européens habitant la Confédération.

D’où la constitution, comme l’a révélé la NZZ, d’un mystérieux groupe des 27, qui se dévoile ce lundi et prêt à lancer une double initiative suisse et européenne visant à mettre fin à ces fameux accords de libre circulation. Un groupe qui aurait le soutien de Lech Walesa, ce qui n’est pas forcément un gage de vitalité révolutionnaire mais peut toujours produire quelque forte impression. Au-delà de cette péripétie légèrement schizophrène, c’est un coin de plus enfoncé dans une carapace helvétique de plus en plus mise à mal, de plus en plus isolée. Un isolement de plus en plus insupportable aux yeux du monde, à mesure que la crise étend ses désolations tout en épargnant un premier de classe de moins en moins difficile à haïr.

Comme si cela ne suffisait pas, c’est la Genève internationale, autre poussiéreux symbole de cette Suisse d’autrefois, heureuse et aimée, qui s’est pris une sévère claque. Candidate, avec six autres villes, pour accueillir le Fond vert de l’ONU, un machin créé pour aider les pays en développement à faire face aux impacts du changement climatique — la cité du bout lac au final a du se contenter d’un mot de félicitations à l’heureuse élue, la cité des bords de la mer jaune, Songdo. Une ville sud-coréenne encore en construction, verte et ubiquitaire — c’est-à-dire hyper connectée, et surnommée déjà la ville du futur. Comment les Genevois ne sentiraient-ils pas soudain un méchant coup de vieux leur tordre les reins? Un échec qui a eu lieu, rappelle benoitement le Conseil d’Etat genevois, malgré — les mauvaises langues diront à cause de — «l’engagement sans faille du Conseil fédéral et des nombreux parlementaires fédéraux».

Suivant les milieux, on inventera une explication inverse pour expliquer ce spectaculaire et universel désamour. Excès d’arrogance d’une Suisse isolée et préservée pour les uns, péché de faiblesse gouvernementale pour les autres, dénonçant un Conseil fédéral avalant couleuvre sur couleuvre sans broncher ni sortir la moindre griffe.

La perspective de se retrouver dans deux mois avec un président de la confédération nommé Ueli Maurer ferait à cet égard presque frémir. L’ancien président de l’UDC n’a-t-il pas démontré à la tête du département de la Défense sa phénoménale capacité à faire preuve, à la fois et en même temps, de l’un et l’autre de ces péchés si peu mignons, d’arrogance aussi bien que de faiblesse?