Quand l’ASIN frotte l’ASIN

Avec son initiative sur les traités internationaux, l’Association pour une Suisse indépendante et neutre saperait plutôt l’indépendance du pays. Et sa neutralité. Analyse.

«Parlez maintenant ou taisez-vous à jamais». Contrairement à ce que pourrait laisser penser son slogan de campagne, ce n’est pas à un mariage que nous convie l’Association pour une suisse indépendante et neutre (ASIN), qui est à l’UDC ce que l’Opus Dei est au Vatican. Mais plutôt à un divorce. Et pas n’importe lequel: d’avec à peu près le monde entier.

En cas d’acceptation de son initiative, en votation populaire le 17 juin et proposant de soumettre désormais quatre nouvelles catégories de traités internationaux au référendum automatique, nul doute que la Suisse serait à nouveau perçue loin à la ronde comme une exception dont l’arrogance n’a d’égale que l’indifférence à autrui.

Avec en sus l’obligation ubuesque (que les adversaires de l’initiative ont largement signalée) de se prononcer sur des objets ou extrêmement techniques comme «la Convention internationale révisée pour la protection des obtentions végétales», ou incontestables, comme la Convention des Nations unies contre la corruption.

Pour le peuple, cela reviendrait à se déterminer sur ce qui dépasse ses compétences ou à enfoncer, dimanche après dimanche, des portes grandes ouvertes. Mais peut-être l’ASIN soupçonne-t-elle le peuple suisse d’être favorable à la corruption et qu’il faille pour s’assurer du contraire lui poser carrément la question.

L’ASIN en tout cas montre de la suite dans les idées, si l’on accepte d’appeler cela des idées. En convoquant, par exemple, à la rescousse de sa propagande, des Allemands, des Chinois, des Espagnols et des Grecs et en leur faisant affirmer que eux voteraient oui à ce droit de regard référendaire sur les traités internationaux. L’ASIN n’a pas peur des paradoxes, tout en démontrant ce que l’on savait déjà: que toute xénophobie a ses bons étrangers.

Même si, et un autre objet brûlant le prouve, quand xénophobes et étrangers tombent d’accord, ce n’est pas souvent pour les mêmes raisons. Par exemple, l’hilarant ex-ministre allemand des finances Peer Steinbrück, très étranger, très anti-suisse, très social-démocrate, partage néanmoins le point de vue de l’UDC sur un sujet: c’est nein, nein et nein à l’accord fiscal conclu entre la Suisse et l’Allemagne. Pour Steinbrück parce que cet accord fait encore la part trop belle aux fraudeurs allemands et à leurs receleurs suisses, pour l’UDC au contraire parce c’est encore trop donner au vorace fisc teuton.

Notons que Steinbrück n’est pas le seul social-démocrate à être aux côtés de l’UDC pour cracher sur Rubik: si le PS suisse s’abstient prudemment, son président Levrat ainsi que les jeunes socialistes militent pour le rejet.

Il est vrai qu’un accord salué comme résolvant «la quadrature du cercle» par le secrétaire général de l’association des banquiers privés, Michel Y. Dérobert, ne peut qu’exciter la méfiance d’un jeune socialiste. Lequel s’enthousiasme rarement pour les mêmes choses qu’un vieux banquier.

Pour en revenir à l’ASIN, constatons d’abord, et une étude zurichoise vient de le montrer avec éclat, qu’une très grosse majorité de suisses plébiscitent les valeurs d’indépendance et de neutralité.

Mais est-ce bien la même neutralité que celle claironnée haut et fort par l’ASIN? La neutralité, loin de consister à se prononcer sur tout, n’irait-elle pas plutôt dans le sens contraire: refuser de prendre parti et donc, de facto, adopter pour mode de conduite systématique de ne se prononcer sur rien? Se taire justement à jamais.

L’ASIN apparaîtrait à cet égard comme le mouvement le plus éloigné qui soit de l’idéal de neutralité. Un idéal dans lequel elle met surtout l’idée et le bonheur de ne se retrouver qu’entre soi. Une tentation et une manie que les Anciens avaient pour habitude de brocarder à travers un proverbe fameux: l’âne frotte l’âne. En bon latin: asinus asinum fricat.