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Se frapper la poitrine ou se taper sur le ventre

Pas si facile d’habiter un îlot de prospérité au milieu d’un océan de malheurs. Epargnés par la crise, les Suisses sont–ils condamnés à osciller entre satisfaction intense et léger sentiment de culpabilité?

Que faire? Oui, que faire face à une si insolente réussite? A l’œuvre qui plus est au milieu d’un marasme général, d’un climat de dégradation, de triple A volatilisé, et d’indignés criant leur colère à tous les coins de rue?

On veut parler bien sûr de l’increvable santé économique et financière de la Suisse sur laquelle la crise, la grande crise qui ravage le monde entier depuis 4 ans, semble n’avoir pas ou si peu d’effets.

Oui que faire? Se taper sur le ventre de satisfaction en entonnant le fameux «Suave mari magno» de Lucrèce ne semble pas d’une dignité folle («Qu’il est doux, quand les vents lèvent la mer immense, d’assister du rivage au combat des marins!»). D’un autre côté, à se tordre les mains de compassion, à se frapper la poitrine en signe de culpabilité, on risque le ridicule et l’autodénigrement malsain.

Deux honnêtes hommes, honorablement connus sous nos latitudes et dans nos médias, viennent de faire part à propos de ce dilemme tellement suisse — faut-il se réjouir de son bonheur? — de deux sentiments foncièrement opposés.

L’économiste Beat Kappeler d’abord, dans «Le Temps», pour qui l’affaire est entendue: aucune raison de bouder son plaisir face à une avalanche de «bonnes nouvelles». Telle cette baisse générale des prix, visant à enrayer la spirale du franc fort, et qui se traduit par un panier de la ménagère sérieusement agrandi — «plusieurs centaines de francs de pouvoir d’achat de plus par mois».

Avec aussi, suprême insolence, la création en une année de 40’000 nouveaux emplois. Absurde donc pour Kappeler de se comporter comme si «on était devant des houillères fermées en Lorraine». Pour lui face à une situation à laquelle la plupart des pays et d’abord nos voisins ne peuvent même pas commencer de rêver, il n’y a qu’une chose à faire: «Savourez!», ordonne l’économiste.

Tout à l’inverse, Frédéric Maire, le directeur de la cinémathèque suisse, raconte dans le quotidien «24 Heures» pourquoi ses vacances de fin d’année en Espagne se sont plutôt mal passées. Aux Espagnols étranglés par la crise, avec un chômage à 24%, une bulle immobilière éclatée et qui lui demandent «et en Suisse?», Maire hésite à répondre. S’avouant «assez gêné d’évoquer nos moins de 4% de chômeurs», il se résout à «détourner la conversation sur d’autres sujets, plus frivoles».

Jusqu’à ce que, ô miracle, l’affaire Hildebrand vienne faire, comme ailleurs, la une de la presse espagnole. Du coup, Maire respire mieux et ses amis espagnols peuvent ricaner. «Non seulement les Suisses vivent dans un paradis, mais en plus ils profitent du malheur des autres».

A quoi il aurait pu ajouter, dans l’actu de ces derniers jours, un Conseiller d’Etat au bout de la nuit et du lac faisant le coup de poing à la sortie des discothèques. Ou encore l’explosion des demandes d’asile et le manque cruel de places où loger les requérants.

Une situation due essentiellement à l’imprévoyance de Blocher à l’époque où il était en charge de Justice et Police. Avec en sus l’ardue nécessité pour Mario Gattiker, le tout nouveau chef de l’Office fédéral des migrations, s’il entend débloquer la situation, de négocier de nouveaux accords de réadmission avec les pays d’origine concernés. Une vraie partie de plaisir en vue.

Sur ce point-là au moins, les comparaisons avec les autres pays européens ne sont guère flatteuses. Quand les Hollandais mettent cent jours pour examiner une demande d’asile, l’administration suisse en prend 1400. Un délai absurde, kafkaïen, qui occasionne chez le requérant un sérieux début d’enracinement, pour s’entendre à la fin dire non. Sur fond de renvois brutaux, périlleux, voire impossibles, et de vols spéciaux.

Et si ce n’est pas encore assez pour se persuader d’une Suisse aussi indigne que la moyenne, on ajoutera sa politique climatique. «Un échec sur toute la ligne», du moins selon le WWF qui la dit, cette politique, «énervante, malhonnête et incompréhensible», car incapable de remplir ses objectifs de réduction d’émissions, n’appliquant pas la loi sur le CO2, et s’asseyant sur Kyoto en achetant plus de certificats que n’en autorise le protocole. Comme dirait Kappeler: savourons.