Un curieux vent d’autosatisfaction souffle sur les affiches des candidats aux élections fédérales. On voit du «génie suisse» partout, alors que longtemps, le talent de ce pays a été de faire semblant de ne pas en avoir. Réflexion.
Elles ne sont peut-être pas toutes des astres éblouissants, mais au moins elles ont le prix Solaire. Et même le prix Solaire européen. Et dire qu’il y en a que cela fâche, cette distinction remise aux quatre conseillères fédérales Widmer-Schlumpf, Sommaruga, Calmy-Rey et Leuthard pour avoir décrété la sortie du nucléaire.
A Berne, certains estiment que puisque c’était une décision collégiale, les trois mauvais garçons qui, eux, se raccrochèrent obstinément, désespérément à leurs centrales comme chimpanzés aux branches devraient aussi avoir droit à un soleil honorifique. Tel serait en tout cas l’implacable logique du «génie» suisse.
Un génie désormais partout à l’œuvre: comme par contamination agrarienne, il semble qu’un vent de patriotisme échevelé, pompier même, souffle de tous côtés sans qu’on puisse diable en voir la raison. Dans les partis d’abord, avec les slogans ridicules des radicaux et des démocrates-chrétiens, singeant la patriotisme de pacotille de l’UDC («Par amour de la Suisse», «ma Suisse, ma famille, notre avenir»).
Dans la presse ensuite, avec ici l’élection du «Romand du siècle», là, un numéro spécial sur ce fameux génie qui nous habite. Ou encore un concours pour désigner les grands hommes — les grandes femmes, aussi bien sûr, même si l’expression sonne encore un peu neuve — qui auraient pu figurer sur les nouveaux billets de banque. Lesquels fort heureusement se contenteront de thèmes plutôt que de glorieuses bobines.
Que se passe-t-il soudain de si extraordinaire pour que chacun paraisse vouloir se frapper la poitrine d’autosatisfaction, grogner une prière patriotique mercantile, répéter en boucle toujours les mêmes et très matérielles réussites — le PIB, la croissance, les finances à l’équilibre, le chômage à plat. Pour faire bonne mesure, pour incarner ce prétendu génie, on ajoute quelques noms ronflants, dans toutes les disciplines mais peu ou pas connus du tout hors de nos frontières. Des grands noms qui servent surtout à cacher de toutes petites forêts, comme la figure de Denis de Rougemont fait oublier un instant, mais un instant seulement, notre mépris persistant pour l’Europe.
Comme si ce pays n’était pas d’abord un agrégat hasardeux de deux ou trois provinces en zone périphériques des grandes puissances, des pays véritables. Longtemps, et avec un taux maximal de réussite, la plus grande fierté du Suisse c’était un peu de n’être pas fier, de laisser les vantardises cocardières à nos pittoresques voisins gaulois et germains. Le génie c’était peut-être de n’en pas avoir, et en tout cas de ne pas le montrer, de tracer son chemin et faire son œuvre loin des palabres de tribune et des nationalismes féroces.
Pour la sortie du nucléaire, par exemple, à quoi sert-il de se congratuler parmi, de s’entre-honorer alors que rien n’est fait, rien n’est acquis? N’a-t-on pas vendu l’atome avant de l’avoir décontaminé?
Le lobby nucléaire et ses amis ne désarment pas, arguant qu’il n’est pas sûr que sortir du nucléaire soit facile et rapide ou même simplement possible. «Nous ne pouvons pas attendre les bras ballants l’installation d’éoliennes dans le Jura dont la population ne veut pas» s’énerve-t-on à Economiesuisse. Tandis que bien sûr, on peut rester les bras ballants devant Fukushima ou Tchernobyl à se demander pendant des siècles, et jusqu’à extinction de la radioactivité, ce qui a bien pu foirer dans d’aussi admirables technologies.
Sauf que sur ce coup-là, Economiesuisse n’a peut-être pas complètement tort: est-il bien sérieux de tabler sur de rapides alternatives au nucléaire dans un pays où, réunie en assemblée générale, la commune jurassienne de Bourrignon peut dire non, par 93 voix contre 36, à un projet éolien porté par les services industriels du canton de Genève? Encore un sale coup du fameux génie suisse dont on conclura, pour être méchant, que si quelque chose un jour nous conduit à l’apocalypse nucléaire, ce pourrait bien être lui.