Après un siècle de croissance continue, la taille moyenne de la population semble avoir atteint son maximum. Explications.
«Que tu as grandi! Tu vas bientôt dépasser ton papa.» Cette remarque enfantine sera-t-elle caduque d’ici à quelques années? On peut le craindre. Si, depuis plus de cent ans, la taille des Suisses n’a cessé d’augmenter, elle stagne désormais. C’est le résultat étonnant d’une étude scientifique menée par Kaspar Staub, chercheur au Centre de médecine évolutive de l’Université de Zurich, et ses collègues de l’Université de Berne.
Les scientifiques ont analysé la taille des recrues militaires lors des 130 dernières années. En effet, dès leur arrivée en caserne, les soldats sont mesurés, non seulement pour mettre sur leurs épaules des vêtements adéquats, mais pour recueillir des données à l’intention de l’Office fédéral de la statistique.
Du côté des femmes, de tels chiffres ne sont pas disponibles. Les chercheurs doivent se contenter des données qui figurent sur les passeports, les renseignements relatifs aux prisonnières ou aux rares volontaires au sein de l’armée. Une évolution en parallèle des tailles des deux sexes est néanmoins observée.
Reste que la constance des données fournies par l’armée suisse est unique au monde — dans d’autres pays des changements politiques ou des modifications de l’âge de recrutement rendent difficiles les comparaisons entre les années — ce qui rend leur étude particulièrement enrichissante.
En 2009, les hommes suisses mesuraient en moyenne 178,2 centimètres, soit 14,9 centimètres de plus que cent trente ans plus tôt. De quoi assimiler la croissance de la taille à une sorte de loi naturelle: génération après génération, les enfants sont plus grands que leurs parents. En fait, il n’en est rien.
L’étude, publiée en juillet dernier dans Swiss Medical Weekly, montre que de 1992 à 2009, la taille des recrues n’a crû que de 7 millimètres. Il ne s’est donc pas passé grand-chose pour les natifs des années allant de 1973 à 1990. Comment expliquer ce phénomène de stagnation?
«Pour la première fois, un plafonnement a incontestablement lieu. Mais nous ne savons pas s’il est passager, définitif ou si, pourquoi pas, une régression peut se profiler», écrivent les chercheurs.
Car, l’évolution de la taille humaine n’a pas toujours rimé avec croissance. Pline l’Ancien, au Ier siècle, écrivait: «Le genre humain devient partout de plus en plus petit (…). Rarement les enfants sont plus grands que leurs pères.»
En 1718, un académicien français, Jean Henrion, prétendit même pouvoir, à l’aide de lois mathématiques, déterminer au centimètre près la décroissance de la taille humaine depuis sa création. Ainsi, selon lui, Adam aurait mesuré 123 pieds 9 pouces (environ 40 mètres), Noé 33 mètres, Hercule 3 m 53 et Jules César 1 m 62. En fait, jusqu’au XIXe siècle, la croyance populaire estimait que l’homme avait décrû au fil du temps.
Puis, dès la révolution industrielle, de nombreux facteurs apparaissent pour expliquer une croissance flagrante de la taille humaine. Les principaux étant: l’amélioration de l’hygiène, des conditions de travail moins pénibles, les progrès de la médecine et une alimentation plus variée.
Si la taille constitue un bon indicateur des conditions de vie d’une société, sa stagnation traduit-elle l’absence d’amélioration de celles-ci? L’interprétation de cette stagnation n’est pas aisée. «C’est une énigme», ne cache pas Kaspar Staub, dans une interview accordée au Tages-Anzeiger. L’explication la plus plausible: «Nous avons atteint la grandeur maximale déterminée génétiquement.»
Le fait que les hommes suisses soient aussi grands que dans d’autres pays du centre et du nord de l’Europe où la croissance stagne également corrobore cette hypothèse. En Europe du sud où les tailles moyennes sont plus faibles, la tendance à l’augmentation de la croissance se maintient.
Une autre piste est évoquée. Aux USA, on trouve une relation statistique entre le ralentissement de la croissance et la propagation du surpoids. Kaspar Staub craint un phénomène identique pour la Suisse: «Pendant un certain temps nous avons envoyé l’énergie excessive pour nous nourrir et nous faire grandir. Maintenant que nous avons atteint le maximum en taille, nous poussons en largeur. Les statistiques de la Confédération montrent d’ailleurs, dès la fin des années 1980, un nombre croissant d’obèses chez les 19 ans.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.